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Scolies
3 novembre 2011

XXVIII

Je suis donc d'avis que le caractère de la force est de se foutre de tout et d'aller de l'avant.

Stendhal

cheval_cabre_napoleon_david 

Il fallait voir ma joie lorsqu'alors que je lisais le journal de Stendhal, cette phrase, par surprise, sauta devant mes yeux. Qu'on se le dise ; j'aime les citations, et je vibre en les trouvant, en les réécrivant, en les apprenant ; mais certaines sont plus chères à mes yeux que les autres, elles resteront, nécessairement, toujours ancrées, éveilleront toujours de fortes émotions en moi.

Cette phrase s'applique à tous les domaines de la vie. Réussir sa vie, c'est peut-être mettre le plus de force possible dans chacune de ses actions. Or, nous nous retenons ; nous ne nous abandonnons presque jamais à ce que nous faisons ; nous sommes comme ces lumières qui doivent se refléter à travers mille miroirs afin d'atteindre leurs cibles : médiations inutiles, ralentissements superflus, entraves maladroites. Stendhal, dans toute son œuvre, ne cesse de tourner autour de ce problème : les hommes ne parviennent pas à être vrais, à être naturels ; ils tombent dans l'emphase, le maniérisme, la mauvaise comédie, neutralisant leur force propre. Faire des manières et de l'emphase, c'est ne pas être soi-même ; c'est agir en ne vibrant pas de toute son âme, mais en faisant semblant de vibrer comme les autres, c'est-à-dire comme personne : on nage dans le vide.

Je voudrais insister sur l'expression « se foutre de tout ». Si Stendhal n'eût pas employé un tour grossier, sa phrase n'eût pas eu cette intensité ; car sa phrase est déjà un exercice pratique ; il montre déjà qu'il se fout de tout en écrivant ainsi. D'ailleurs, on le sait, le génie de Stendhal vient précisément de ce naturel jamais forcé dans l'écriture, qui cause cette allure de vie, de beauté libre propre à son œuvre. En aimant, il s'efforçait également de se foutre de tout, le brave homme ; il n'avait pas peur du ridicule des passions, il les acceptait en les accentuant, en accélérant leur mouvement ; il aimait ses passions, se joignait de toute sa personne avec elles ; ça formait un courant beau, violent, fort. Stendhal, le meilleur homme du monde, à mon avis ; Stendhal, le seul homme, que je peux difficilement m'empêcher de vénérer, le plus important de tous pour moi, responsable de si nombreux changements et accélérations de données déjà existantes en moi. La grande révolution qu'il provoqua en mon âme (avant que je rencontre cette phrase bien sûr, car celle-ci était sous-jacente dans l'ensemble de ses textes) fut de me libérer du manque de naturel, cette manie omniprésente consistant à plaquer de l'artificiel du vivant naturel, et de chercher (ce qui revient à la trouver) ma force propre. Ça se voit dans le changement de mon style : avant : lourdeur, trop d'adjectifs, adjectifs faisant genre poétique, emphase, romantisme, galimatias, et j'en passe... Peu à peu, j'ai, heureusement, bien que maladroitement, évolué vers davantage de légèreté et de liberté. Maintenant, je ne me relis plus, et je ne vais jamais en arrière ; influence d'Alain et de Bergson aussi ; confiance en la force de la spontanéité encadrée car toutes les spontanéités ne sont évidemment pas bonnes, la spontanéité véritable s'éduque ; on ne devient pas soi-même en le décidant et en claquant triomphalement des doigts.

À noter que cette phrase fonctionne également pour la vie sexuelle.

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