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Scolies
6 novembre 2011

XXXI

Il y a dans la jalousie plus d'amour-propre que d'amour.

La Rochefoucauld

 jalousie

Oui ; et pourquoi ? Parce qu'être jaloux, c'est être engagé dans un processus subjectif, où la réalité objective et l'être aimé n'ont pas une grande place, qui consiste à mener une enquête permanente sur l'autre, à interpréter tous les signes apparaissant devant soi, dans le but, non de consolider sa relation amoureuse, mais de donner satisfaction à son égoïste angoisse, à sa crainte irrationnelle de n'être pas le seul, de ne pas posséder l'être aimé. Or, d'une part, possession n'est pas amour, et, d'autre part, ce n'est pas de l'amour que manifeste la recherche absurde d'être l'unique et la volonté de faire concorder son idéal subjectif avec la réalité objective ; non, là est la satisfaction de l'amour-propre, où l'on voit que l'autre n'est jamais perçu pour lui-même, mais qu'il est entièrement subordonné au sujet amoureux, lequel a parfois l'audace de cacher le caractère pathologique et avilissant de son enquête sans fin sous le voile d'un amour prétendument véritable, profond, sans borne. Le jaloux ne cherche pas le bonheur de l'autre (en étant jaloux, il provoque évidemment davantage de malheur que de bonheur), mais cherche à se rassurer en lui-même, même si ceci peut annihiler l'être aimé et ne faire de ce dernier qu'un pion fantôme altéré par le regard déformant du jaloux. Être jaloux, c'est vouloir réduire à soi l'irréductible être aimé ; c'est vouloir faire de l'autre une chose pouvant être maîtrisée et possédée, et se plaire à cette assimilation abusive, maladive. En écartant tous les autres de mon objet, de ma chose aimée, je me la réserve qu'à moi, et jouit de voir que ma possession ne concerne que moi-même : je souffre, mais je me flatte ; je suis toujours inquiet, mais me rappeler que l'objet convoité par les autres n'est qu'à moi et sentir que je contribue à cette possession exclusive, compense cette inquiétude permanente. La jalousie est amour-propre et non amour véritable, lequel est d'ailleurs plus φιλία qu'ἔρως, car l'amour véritable envisage l'aimé pour lui-même, tandis que dans jalousie, l'autre n'est vu que dans le prisme défigurant du sujet amoureux et égoïste.

La distinction entre φιλία et ἔρως est essentielle ; c'est elle qui permet de comprendre la différence entre de nombreuses amours, et de savoir repérer celles qui se fondent sur le moi égoïste (ἔρως) et celles qui placent l'essentiel dans l'autre considéré pour lui-même (φιλία). Proust a mieux que quiconque illustré l'amour jaloux et possessif, en montrant à quel point l'autre n'avait qu'un rôle minime dans ce processus, que l'essentiel se situait dans le sujet amoureux : le narrateur n'aime pas Albertine pour elle-même, et, lorsqu'il entretient une relation avec elle, il ne pense qu'à lui. Comme Paul dans l'Enfer de Chabrol, le jaloux est idéaliste, égoïste, malheureux, et fou en puissance.

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Commentaires
B
Vous avez raison raison de rappeler le rôle joué par le rival, que je n'avais pas pris en compte. Ce qui est intéressant, et qui montre encore une fois que la jalousie n'a pas grand chose à voir avec une interprétation objective des faits, c'est que le rival est souvent entièrement fantasmé : nous pouvons être jaloux de personnes dont nous ne somme même pas certains qu'ils existent. C'est par exemple le cas du narrateur de la Recherche du temps perdu qui passe son temps à se demander si Albertine le trompe avec des femmes, alors même qu'il n'a aucune image précise de ces hypothétiques rivales : qu'elles soient réelles ou pas n'a finalement que peu d'importance pour le jaloux. Chez Proust, on peut même dire que les rivaux sont nécessaires à l'entretien de l'amour, car sans l'angoisse de la jalousie, sans la peur de perdre ce que l'on possède, l'amour se meurt. Il y a dans La Prisonnière un cercle vicieux de l'amour qui n'est pas sans faire penser à la pendule de Schopenhauer : le narrateur souffre de jalousie paranoïaque lorsqu'il ne sait pas où se trouve Albertine, mais quand il l'enferme chez lui, qu'il n'a plus de raison d'être jaloux et d'angoisser, il ne sent plus d'amour elle – bref, il s'ennuie.<br /> <br /> Quant à l'amour, je ne connais pas de phénomène plus fascinant et insondable ; s'il y a bien un sujet dont on ne fait jamais le tour, c'est celui-là !
D
C'est très plaisant de vous lire et vos articles suscitent la discussion. Je vous rejoins dans votre analyse du jaloux mais je crois qu'il manque la catégorie du rival, l'autre, cet invisible essentiel qui renvoie à sa propre structuration psychique. L'histoire ne se joue pas qu'entre soi et soi, dans un rapport du sujet à la possession (la chose). Le rival est l'élément déterminant qui mobilise la passion personnelle et la tourne en un délire de type potentiellement paranoïaque comme dans le cas du film l'Enfer. La jalousie est moins désir de posséder qu'angoisse devant un désir qui n'est pas nommé et face auquel le sujet se défend. Pour la psychanalyse, la jalousie repose sur une fascination pour le rival (le double) donc sur un désir de type homosexuel refoulé mais très actif.<br /> En ce sens, on peut poser le problème comme vous le faites de l'altérité, du rapport réel à l'autre. Dans la jalousie, l'autre n'existe pas comme sujet. Sans doute ne fait-il que rendre possible un accès intolérable à un conflit non surmonté pouvant prendre des allures gravement pathologiques.<br /> <br /> Quant à l'amour, je reconnais humblement ne pas savoir ce dont il s'agit.
Scolies
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