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Scolies
17 novembre 2011

XLII

Le goût est fait de mille dégoûts.

Paul Valéry

 Goya_selfportrait

Qui aime tout n'aime rien, de même que celui qui est ami avec tout le monde n'est en réalité ami avec personne. Aimer, et, a fortiori, avoir du goût, c'est discriminer ; c'est écarter pour mieux saisir ; c'est mépriser pour mieux savourer. Il ne faut donc pas accuser les hommes d'être trop difficile, ils ne le sont jamais assez ; et il vaut mieux passer pour un ronchon rabat-joie qu'être de fait un niais qui applaudit et crie au génie dès qu'il rencontre une nouveauté quelconque. Trop souvent on évacue le rôle fécond du mépris, de la répulsion, du crachat, dans la constitution du goût et de l'amour sincère pour l'art. Celui qui aime la littérature est avant tout celui qui déteste une immense part de celle-ci, qui rejette même sans honte (car nombreux sont ceux qui n'osent avouer leurs dégoûts) certains écrivains considérés comme classiques. Le goût est formé de mille ennemis, célèbres ou non. Il est même bon d'avoir des cibles privilégiés, lesquels le sont parce qu'ils synthétisent tout ce que nous jugeons de mauvais goût : je dois beaucoup à Chateaubriand, à Mallarmé, car ils m'ont aidé à m'attacher à ce que j'aime ; je pense souvent à eux, sans haine.

Sans dégoûts, l'homme est une éponge adhérente ; sans ennemis, l'homme est un pacifiste ennuyeux ; sans crachats, les baisers n'ont aucune saveur. Heureusement que l'on n'écoute pas le proverbe, que l'on discute, que l'on se bat pour les goûts et les couleurs ; car sans affrontement, l'homme est insipide comme un roc inamovible qui soutient toute chose indifféremment. Dans la pensée, le polémiste a toujours raison contre le pacifiste.

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