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Scolies
19 novembre 2011

XLIV

Il faut être trois pour apprécier une bonne histoire : un pour la raconter bien, un pour la goûter, et un pour ne pas la comprendre. Car le plaisir des deux premiers est doublé par l’incompréhension du troisième.

Alphonse Allais

alphonse_allais 

On n'insiste jamais assez sur les vertus que peuvent posséder l'ignorance, l'incompréhension, ou même le mauvais raisonnement. À défaut de donner la certitude, la vérité, et autres valeurs trop unanimement glorifiés, les erreurs de notre raison peuvent au moins donner du plaisir. Il n'y a rien de plus jouissif qu'une maladresse relevée par des hommes spirituels : ils font de l'inadéquation entre la pensée ou l'action avec le réel une source de joie. Voir un élève faire un énorme contre-sens en cours ne devrait jamais susciter la pitié, mais le rire, la raillerie saine qui ne vise pas à écraser ou humilier l'autre – ou bien le concerné ne doit pas entendre les propos. La politesse n'est pas de ne pas se moquer, mais de se moquer à bonne distance.

Les exercices de version à l'école, déjà assez ennuyeux tels qu'ils sont, le seraient encore davantage si nous ne faisions pas régulièrement des erreurs grossières et absurdes nous permettant de rire des autres ou de nous-mêmes. Sans les perles du bac, ces bijoux d'humour que l'on attend chaque année avec impatience, les corrections des profs seraient encore plus insipides, et ils n'auraient rien d'amusant à raconter à leur entourage. La raillerie est comme une arme : elle n'est jamais mauvaise en soi, tout dépend de la façon dont on l'utilise. Sans elle, le monde serait encore plus sérieux et triste. Spinoza, je crois, n'a pas su être attentif à cette dimension joyeuse de la raillerie ; c'est dommage. Il est vrai que si je pouvais organiser un banquet des morts, ce n'est, bien que je le vénère, pas le prince des philosophes que j'inviterais le premier...

De façon plus générale, une blague n'est presque jamais réellement drôle si l'on est seul pour l'apprécier ; nous avons besoin des réactions des autres pour renforcer nos émotions propres ; la présence de compères de bonne humeur favorise toujours l'expression de tels affects, qui sont des affects sociaux par nature. Assister à un spectacle comique seul n'a presque pas de sens, et nos rires sont dédoublés dans une salle de cinéma qui rit toute entière avec nous, sans quoi il n'y aurait pas tant de personnes qui voudraient retourner au cinéma pour voir à nouveau les Intouchables, par exemple, film hilarant qui accomplit parfaitement son objectif modeste, si l'on passe outre les rares passages mièvres et un peu mélodramatiques. N'est-il pas ainsi drôle, pour illustrer directement la citation d'Alphonse Allais, de voir des jeunes ne pas comprendre la vanne sur Goya et Pandi panda ? Rire de ce que les autres ne comprennent pas est toujours jouissif ; c'est une sorte de bon aspect de la vanité naturelle des hommes... 

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