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Scolies
27 novembre 2011

LII

Je suis donc enculé de toutes les manières.

Stendhal

haddock-55a

Les élans de sincérité, si rares chez les auteurs, me ravissent toujours. J'ai horreur des phrases qui sentent la fausseté et l'artifice forcé – car il existe bel et bien, si l'on veut bien être attentif à la souplesse des concepts, des artifices naturels, c'est-à-dire des moyens non purement instinctifs et procédant par les médiations de l'art qui permettent d'être soi, d'exprimer une part de son moi profond et naturel, autrement que par l'immédiateté instinctive pure. La nature de l'homme est de ne pas rester vautré dans l'immédiat ; l'usage de médiations fait partie de sa nature ; la technique et l'art sont naturels à l'homme. Les grands artistes sont toujours des hommes ayant su être vrais dans leur art ; ils ont su mettre dans leur œuvre ce qu'il y avait d'essentiel en eux ; et derrière la surface d'une œuvre se cache toujours la profondeur d'une idiosyncrasie puissante. La Recherche du temps perdu, c'est Proust ; la sculpture du David, c'est Michel-Ange ; les Propos sur le bonheur, c'est Alain. Paul Valéry, dans son court essai sur Stendhal, montre autant son intelligence que son manque d'amour, et donc de compréhension profonde, pour Stendhal : ce sont deux esprits qui ne pouvaient pas s'aimer et se comprendre, Valéry étant plus proche du sérieux Flaubert ou du métaphysique Mallarmé que de l'insouciant et matérialiste Beyle.

Il est un moment où les litotes énervent, contiennent trop l'individu, et l'empêchent de s'exprimer pleinement ; il faut parfois abandonner la décence et la politesse ; vient en soi la nécessité de dire clairement, fortement, avec hyperboles plutôt qu'euphémismes, l'exclamation de son bonheur, de sa déception, de sa colère. Lâcher la bride au moment opportun, faire jaillir d'un coup bref les mots qui brûlent la langue et la plume, mettre fin à une tension de l'esprit par la force libératrice de la grossièreté – voilà qui fait le bonheur et du locuteur et de l'interlocuteur, car les libérations subites des autres favorisent la libération de son esprit propre. Je suis donc enculé de toutes les manières : si mes souvenirs sont bons, cette citation est extraite d'une lettre de Stendhal, où il raconte à je ne sais plus qui ses péripéties rocambolesques durant la campagne de Russie. J'ai beaucoup rêvé de Stendhal pillant Moscou, cherchant de la beauté et des hommes d'esprit, et finissant par se désespérer de ne trouver que laideur et bassesse. Une page que Stendhal a trouvé de l'amusement à écrire est toujours bonne pour moi.

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