LIV
Lorsque qu'une femme parle, c'est pour ne rien dire ; alors quand elle ne dit rien, c'est qu'elle parle.
– Feydeau
Le vaudeville du XIXème siècle vaut mieux que le théâtre prétendument absurde du XXème siècle : l'un est modeste, toujours drôle, léger, n'ayant guère besoin de prendre l'apparence de la profondeur métaphysique pour exprimer des vérités ; l'autre est lourd, vieilli, prétentieux, fier de son allure arrogante et de susciter des réflexions pédantes dans le cerveau d'universitaires ennuyeux. J'échangerais volontiers tout Beckett contre une bonne pièce de Feydeau, chez qui se trouve l'absurdité réellement puissante, l'absurdité du quotidien qui se déroule mécaniquement, l'absurdité d'une machine qui fait se déployer de plus en plus rapidement répliques spirituelles et situations invraisemblables. L'art, au XXème siècle, fut pourri par les concepts ; on ne cessa pas de vouloir en plaquer sur les œuvres, et non seulement sur les œuvres du passé, mais également sur les œuvres en devenir ; les artistes devinrent d'extravagants porte-concepts, objets sans âme excitant de présomptueux intellectuels foireux. Qu'est-ce que je peux mépriser la manie si nuisible de l'avant-gardisme dans les arts !
J'espère que l'on reconnaîtra un jour ce que j'ose appeler une supériorité, la supériorité des hommes d'esprits sur cette engeance d'homme sérieux et originaux qui s'efforcent de se croire profond. Au fond, le peuple pense déjà ainsi, mais à force de fréquenter les pédants du système scolaire, j'oublie que Labiche, Feydeau, Courteline, Sacha Guitry ont davantage la faveur du public que Beckett, Ionesco (un poil plus intéressant et drôle que le premier, soyons honnêtes) ou encore Adamov (que tout le monde a déjà presque oublié). Il y a des vérités, qui ont en plus le privilège d'être piquantes et drôles, dans Les fiancés de Loches, qui valent toutes les leçons banales sur le langage, sur l'incommunicabilité, et autres sujets prétendument métaphysique et existentiels, que prétendent nous apporter la clique des théatreux de l'absurde. Pourquoi fait-on systématiquement étudier Rhinocéros aux élèves, alors qu'on ne leur parle même pas des auteurs d'Un chapeau de paille en Italie, de Boubouroche, d'Un fil à la patte, de Mon père avait raison ? Parce que les pédants ont le pouvoir sur l'institution scolaire, et que ce sont eux qui décident, avec leur faculté de juger esthétique corrompue par une inondation conceptuelle cérébrale, de ce qui est digne d'être étudié ou non. Heureusement que mes heures ennuyeuses passées à étudier laborieusement le théâtre de l'absurde semblent moins persistantes dans ma mémoire, moins ancrées en moi, que les heures de plaisir et les intenses minutes de fou rire qu'ont pu me donner le théâtre spirituel comme je l'aime.