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Scolies
1 décembre 2011

LVI

Ce que l'on ne comprend pas, on ne le possède pas.

Goethe

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Ici est tracé le sens fort d'un concept. Le sens fort d'un concept se constitue, d'une part, en montrant, implicitement ou explicitement, qu'il existe un sens vulgaire, un sens faible, qui s'oppose à un sens plus élevé qu'on met en évidence, et, d'autre part, en mettant en valeur une notion inattendue, c'est-à-dire en formulant une liaison entre deux termes que le vulgaire n'aperçoit pas. Sans ce contraste entre un sens habituel et banal, avec un sens insolite et rare, l'expression de sens fort ne voudrait plus rien dire.

Le sens fort qui est élaboré ici est celui du concept de possession. Le sens faible de la possession est sous-entendue, puisqu'il s'agit d'un aphorisme, d'une maxime ; dans ce genre d'écriture, les médiations et les détails sont évidemment inutiles, tout y est condensé et suggéré. Il n'est pas besoin d'insister sur le sens faible de la possession, car nous voyons tous ce dont il s'agit, à savoir la possession purement matérielle ou la possession comme simple propriété juridique. Philosophiquement, on ne peut aller très loin avec ce sens faible dès lors qu'on en fait pas la critique. Goethe fait mieux : il ne critique pas un sens faible, mais élabore un sens fort fécond, valant pour lui-même, et qui, éventuellement, comme par ricochet, peut servir à la critique du premier sens vulgaire. Dans ce cas précis, le sens fort se construit avec la liaison inhabituelle de la possession avec la compréhension, acte réussi de l'esprit, que l'on oppose le plus souvent à la possession : c'est même un lieu commun de la philosophie : celui qui comprend ce qu'est la vie heureuse méprise la possession, et ceux qui emploient toute leur énergie à posséder tout finissent inexorablement frustrés et malheureux. On comprend donc d'emblée que la possession dont parle Goethe n'a à peu près rien à voir avec ce qu'on entend habituellement pas là.

Quel est le rapport entre la compréhension et la possession ? En quoi la saisie adéquate des choses par l'entendement pourrait permettre à l'homme d'atteindre une possession supérieure, possession qui est ici clairement une vertu et qui apparaît comme l'heureux résultat d'un effort précis ? Je ne veux pas faire ici une dissertation ennuyeuse et répétitive ; il suffit de mettre en lumière un point précis pour comprendre la force de l'affirmation de Goethe. Ce point est le suivant : la possession véritable ne peut qu'être intérieure, et dépend entièrement du sujet, car l'objet matériel est à l'esprit possesseur ce qu'un paysage objectif est à un peintre génial ; dans les deux cas, l'importance se situe dans le mouvement de l'esprit vers la chose, et non dans la chose elle-même.

Goethe se montre ici tout à fait spinoziste ; il montre la puissance de la raison ; il sous-entend un sens supérieur de la richesse, une richesse toute intérieure qui est vers quoi tend le sage, lequel peut être aussi fortuné dans son esprit, en tant qu'il comprend les choses, que dénué matériellement. Nous ne sommes plus très loin des Nourritures Terrestres ou de l'Immoraliste. Goethe dessinait pour comprendre, lors de ses voyages, les paysages qu'il découvrait ; illustration parfaite de sa maxime, car être capable de restituer un paysage grâce à l'acuité de son regard est vraiment posséder ce paysage, l'imprimer en soi, l'ancrer – et pour toujours si l'on prend régulièrement des piqûres de rappel – dans son esprit. Bien voir, c'est comprendre, et comprendre, c'est posséder en soi, mais aussi augmenter sa puissance  : tel est le chemin de la raison qui va de la perception à la connaissance et à la joie.

Il s'agissait bien ici d'une explication : j'ai essayé de montré les plis implicites contenus dans une phrase condensé, et qui, étant d'ailleurs parfaitement claire ainsi par elle-même, comme tous les aphorismes bien taillés, n'avait nul véritable besoin d'être éclaircie ; mais il n'est sans doute pas inutile de mettre en évidence la méthode, en quoi réside précisément tout l'art de la compréhension.

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