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Scolies
7 décembre 2011

LXII

Il faut se prêter à autrui et ne se donner qu'à soi-même.

Montaigne

 brasens

On trouve dans le dixième chapitre du troisième livre des Essais, intitulé De mesnager sa volonté, les fondement de l'individualisme vrai et fort. Non pas l'individu isolé en lui-même pour des raisons toutes négatives, peur, haine de l'autre ou amour-propre démesuré ; non pas le repli du ressentiment, de l'égoïsme, c'est-à-dire, en somme, de la faiblesse ; mais l'individu honoré dans sa force propre, l'individu en tant qu'ipséité fièrement irréductible, exigeant qu'on respecte son unicité et son besoin d'avoir un espace et un temps réservés à lui-même. Montaigne ne cesse de répéter, à la suite de Sénèque, qu'on gaspille ce que nous avons de plus précieux en s'abandonnant aux autres, à leurs demandes, à leurs idées ; ce dont il ne faut pas déduire que la sagesse consiste à rester caché dans sa fragile tour d'ivoire, puisqu'il faut bien se prêter aux autres ; mais entre se prêter et se donner, entre honorer ses tâches et l'abandon total de soi dans une cause, il y a une distinction à faire et à refaire toujours, dans chaque situation.

Ce sont souvent les hommes qui cultivent le mieux l'amitié qui sont aussi, ce qui peut sembler paradoxal à première vue, ceux qui sont le plus attentif à la conservation de leur être propre : Montaigne, bien entendu, mais qu'on songe à Brassens, dont les chansons font autant l'éloge de l'amitié fidèle que de l'individualité irréductible. Il s'agit de se comporter avec les autres en ayant le sens de la distance : être un peu radin avec son temps ; comprendre les vertus de l'obscurité et du silence ; aider ses connaissances prudemment, avec un peu de nonchalance ; faire les devoirs qu'exige de nous légitimement la société, mais sans ferveur inutile ; agir, en somme, avec autrui comme si nous jouions une partie d'échec : sans s'exciter ou s’enthousiasmer inutilement, mais avec retenue, calme et tranquille sagacité, ce qui est d'ailleurs la meilleure façon de gagner la partie. Il y a quelque chose d'effrayant dans le fanatisme de l'altérité, notion un peu trop à la mode, comme si l'individu n'avait de valeur qu'en tant qu'il participe, rouage bien huilé, à l'ensemble de la grande machinerie qu'on appelle société  ; et c'est là une idée que les communistes n’aperçoivent point. Il y a une part de nous qui ne devrait jamais se laisser écraser par autrui ; chérissons-là. 

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