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Scolies
27 décembre 2011

LXXXII

Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.

Gide

 tobogan

Tous, nous avons des tendances qui nous animent, mais l'humanité semble se diviser, s'il nous est permis de faire une division utile et simpliste, en deux grandes classes d'hommes : les forts, hommes actifs qui connaissent et assument leur tendance, faisant de cette tendance le matériau nécessaire à leur épanouissement personnel et à leur augmentation de puissance ; et les faibles qui, par honte ou par paresse, préfèrent ignorer leur tendance profonde en se laissant passivement aller à celle-ci ou s'opposant bêtement à elle pour des raisons étrangères à l'individu lui-même. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut voir si un individu est faible ou fort ; les autres critères sont fumeux.

Il faut s'efforcer de suivre sa pente en montant et non en descendant ; cette image est forte et dit beaucoup. Il sont nombreux, ceux qui vivent comme s'ils descendaient d'un toboggan ; dès qu'ils ont fini leur enfance en arrivant en haut de l'échelle, ils se laissent longuement glisser jusqu'à leur mort. Leur existence est lisse, coulante, inconsistante, car ils ont pris le chemin de la facilité, qui est à peu près synonyme de médiocrité ; je dis qu'ils ont pris ce chemin facile, car les anses de la vie ne sont jamais données, ils se bâtissent. Pour descendre si aisément de leur toboggan, ces hommes là se font aider ; la morale moralisatrice, les institutions grossières, les idéaux confortables, et surtout le démon de la Velléité, le plus puissant de tous, les poussent afin qu'ils puissent descendre avec le moins de peine possible. Les hommes forts, eux, répètent tous les jours, sans le savoir, le mot de Diogène : « c'est la peine qui est bonne ». Ils sont rugueux ; ils s'inventent des objectifs contraignants qui sont comme des blocs solides sur lesquels ils s'appuient pour avancer ; tel est leur inspiration, ils regardent rapidement ce qu'ils viennent de faire, et, en s'arrêtant à peine, de cet appui ils s'élancent vers le nouveau bloc apparu à leur esprit. À la fin, ils sont tout étonnés, en se retournant, d'apercevoir qu'ils sont allés au sommet d'une montagne toute spirituelle qu'ils ont eux-même façonnée, roche par roche. Cet homme fort n'est surtout pas un surhomme ; il ne dépasse rien, mais a su être fidèle à lui-même, et c'est dire que l'accomplissement de soi n'est pas autre chose qu'écouter le célèbre et de ce fait malmené impératif de Pindare : deviens ce que tu es ! Par homme actif, fort, puissant, s'efforçant de devenir ce qu'il est, il ne faut pas romantiquement entendre l'homme hors du commun ; nous ne voyons pas qu'il est devant nous, cet homme, et nullement dans les nuées ou dans les mauvais romans : il est l'architecte, le gai luron, le gastronome, le Don Juan, l'éducateur, le forgeron, le joueur d'échecs, le père de famille, l'artiste, le cuisinier, l'amoureux, le curieux, le philosophe, mais accompli, mais épanoui, mais vibrant de puissance ; et nous en connaissons tous quelque uns.

La citation est de Gide ; et de fait, je crois qu'il n'y a pas de meilleur antidote à la vie considérée comme long toboggan tranquille que les Nourritures terrestres, inoubliage ouvrage qui ne célèbre le dénuement et la volupté que pour mieux montrer la valeur contenue en puissance dans chaque individu. L'image du toboggan me plaît beaucoup ; et j'aimerais pouvoir me dire, à la fin de chaque journée : "C'est bien ; tu as fait en sorte que ta vie ne ressemble pas à un toboggan".

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