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Scolies
26 janvier 2012

CXII

Je suis en faveur de la coutume qui veut qu'un homme baise la main d'une femme la première fois qu'il la voit. Il faut bien commencer par un endroit quelconque.

– Sacha Guitry


baisemaintintin

Le baise main, je viens de l'apprendre, n'est pas si ancien qu'on le croit : alors que l'on s'imagine généralement qu'il s'agit d'une coutume ancestrale, remontant au moyen-âge, une rapide recherche permet d'apprendre que ce rite fut inventé à la fin du XIXème siècle, inspiré par l'amour courtois médiéval. Je suppose qu'auparavant les salutations entre hommes et femmes offraient moins de contact, et qu'elles consistaient en révérences distantes fort peu propices aux excitantes sensations érotiques. Du reste, cette question de politesse est passionnante, et je me précipiterais, s'il existait, vers un ouvrage qui, écrit avec élégance, narrerait spirituellement l'histoire des bonnes manières ; nul doute qu'un livre exhaustif sur ce sujet existe, mais il serait bien plus étonnant d'en trouver un bien écrit, qualité qu'aujourd'hui l'on ose même plus exiger des historiens. Trop grande attention pour des détails, diront certains ; mais d'une part, tous les détails qui composent les relations humaines sont fascinants, et, d'autre part, le vrai, c'est le tout, comme le dit Hegel, formule géniale et passe-partout qui sert à légitimer tout intérêt porté à des petites sphères qui semblent a priori éloignées d'un sujet général. 

Dans le baise main, l'homme doit s'incliner jusqu'à la main de la femme qu'il tient délicatement, avancer doucement ses lèvres et les faire effleurer la paume. Ce geste est lourd de signification ; et je m'abstiens de toute explicitation détaillée superflue de peur de m'ennuyer moi-même. L'idée à retenir est que l'homme montre par un signe gracieux qu'il se plie de bon coeur pour présenter ses hommages à une représentante de l'autre sexe, et qu'il y a, tacitement, un jeu de galanterie qui est accepté par ce geste.

Aujourd'hui, le premier contact avec une femme se fait par les joues, le visage. Si je regrette un peu que le baise main soit tombé dans la désuétude, je ne me plaindrais pas, car j'aime le rituel si charmant de la bise. Je me souviens de l'heureux temps du collège et du début de la puberté où, pour la première fois, tous les futurs hommes se réjouissent d'embrasser les jeunes filles de leur âge. Je me rappelle très bien que j'espérais faire la bise à telle ou telle jeune fille que, dans l'ingénuité du désir propre à l'adolescence, je jugeais magnifique et que j'idéalisais excessivement en lui donnant une splendeur qu'elle n'avait pas du tout objectivement, ce que la vision des anciennes photos de classe fait bien voir. Enfin, qui n'a pas été déçu de ne pouvoir faire la bise quotidienne à une jeune fille convoitée ? On s'attache rapidement à ce rite qui n'a rien d'anodin. Chamfort n'a pas tout à fait tort lorsqu'il réduit l'amour au contact de deux épidermes. Il est doux de se souvenir des premières sensations données par une personne aimée ou désirée. 

Aucune femme ne fait la bise de la même façon, et ce, au moins parce qu'aucune n'a le même épiderme. Aussi, tous les détails comptent et tous les sens sont convoqués. La vue fait admirer de près les détails de la femme ; nous approchons d'un coup du corps de l'autre, et nous pouvons, avec une rapidité parfois regrettable, contempler les parcelles du visage, les cheveux, ou les oreilles, auxquelles nous ne faisons guère attention habituellement. Nous touchons directement le visage, et toutes les peaux offrent une sensation de contact absolument unique ; si toutes les jeunes filles sont douces, elles ne le sont pas de la même manière. De même, la barbe de l'homme peut donner des sensations que ne donne pas le contact de deux joues imberbes. Souvent, nous effleurons également la chevelure, si essentielle dans le désir que nous avons pour une femme. Surtout, l'odorat est convoqué ; et je sens que les mots me manquent pour exprimer toutes les émotions prodiguées par les douces exhalaisons émanant de l'être désiré. Il n'y a rien de plus enchantant que de sentir intensément le parfum d'une femme aimée ; et je crois que l'odeur agréable de certaines femmes jouent beaucoup dans notre envoûtement pour elles. Au fond, même l'ouïe, en faisant entendre le petit smack quelque peu ridicule de la bise, joue un rôle non négligeable. Les maladresses ont beaucoup de sens, dans le rituel de la bise : il nous est tous arrivé de déraper et d'approcher dangereusement nos lèvres d'une autre partie du visage... Je me souviens soudain d'une jeune fille que je fréquentais au lycée et dont je ne me souviens pas même le nom ; en revanche, j'ai en mémoire, plus qu'une image de son corps bien foutu, le souvenir merveilleux de ses bises ; c'est qu'elle y mettait beaucoup de volupté, que le baiser n'était pas feint, que ses lèvres caressaient le plus tendrement du monde la joue, et que le parfum était ensorcelant ; c'était une artiste de la bise ; je lui rends ici un vibrant hommage, en même temps que je jouis, quelque peu nostalgique, de ma réminiscence ! 

Il y a des femmes qui ne tolèrent pas qu'on les baise (si je puis me permettre d'utiliser cette formule malheureuse qui fait se gausser tous les lycéens lecteurs du début de Candide) : ce sont les mêmes qui honnissent la galanterie sous le prétexte qu'elle rabaisserait la femme et qu'elle nierait l'égalité des sexes. Cette mentalité féminine moderne est barbare.

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