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Scolies
27 février 2012

CXLIV

J'en viens à ceci, que les travaux d'écolier sont des épreuves pour le caractère, et non point pour l'intelligence. Que ce soit ortographe, version ou calcul, il s'agit de surmonter l'humeur, il s'agit d'apprendre à vouloir.

– Alain

doisneau


Cette remarque de bon sens est la meilleure justification des exercices scolaires et de la discipline fastidieuse que les écoles exigent. L'erreur, que nous faisons tous lorsque nous sommes gamins, est de croire que nos efforts devraient absolument avoir une finalité précise ; nous voulons bien peiner, mais à condition d'avoir une récompense ; nous nous aventurons de bon coeur dans de grandes difficultés, mais uniquement si nous avons un trésor, un butin concret pour exciter et orienter notre désir. Or, l'école n'offre pas vraiment de tels butins concrets : à part des félicitations, des bons points, des bonnes notes, voire, au mieux, des carambars, rien n'est donné aux écoliers, et c'est naturel. Cette mentalité enfantine subsiste longtemps, et l'on voit fréquemment les lycéens se plaindre de devoir peiner dans des matières dont il ne voient pas l'utilité, et en premier lieu du sport, discipline qu'on regrette généralement après le bac, quand on s'aperçoit que sans la contrainte, on est incapable de trouver le temps et la volonté de se bouger régulièrement le cul pour exercer son corps. Pendant trop longtemps, l'élève est rongé par un envahissant sentiment d'absurdité : "À quoi bon ?", ne cesse-t-il de se dire au lieu de faire son exercice de mathématiques.

Les professeurs ne se montrent guère convaincants lorsqu'ils essayent vainement de persuader leurs élèves de l'utilité des mathématiques ou de l'orthographe ; ils y cherchent un sens profond, presque métaphysique, qui semble abstrait et ridicule au bon sens pragmatique, ou alors ils brandissent le devoir de se conformer aux exigences sociales, faisant craindre qu'ils seront les chômeurs, les esclaves de demain s'ils n'ont pas de bons résultats, comme si l'objectif de l'école était simplement de permettre aux élèves d'accéder à un emploi. L'école vise bien plus haut : elle ne veut pas faire des salariés, elle veut faire des hommes. Et qu'est-ce qu'un homme, je veux dire un homme prêt à faire son métier d'homme, sinon un être ayant su dompter sa volonté par des exercices divers, capable désormais de déployer avec ordre et persévérance son énergie vers les objets qui lui correspondent ? Il a appris à travailler, à vouloir travailler, non comme un salarié, mais comme un homme.

Tous ces exercices obligent l'élève à se frotter à la résistance du réel : un problème mathématique, ça résiste bien plus que le béton, le fer, ou que n'importe quel matériau au monde. On ne fait pas ce qu'on veut avec la matière de l'esprit. L'école doit montrer cette résistance à l'élève, et le forcer à affronter cette résistance. Gymnastique de l'esprit et de la volonté, les exercices contraignants sont indispensables pour tous les hommes qui veulent se sentir libre en devenant ce qu'ils sont, en développant leurs potentialités singulières. Ce qui est fait ici est fait par gymnastique. 

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