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Scolies
16 mars 2012

CLXII

Liberté, c'est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu'ils ne parlent, qui demandent plus qu'ils ne répondent.

– Paul Valéry

9782130562733


Le problème de la liberté est presque toujours mal posé ; la liberté est l'un des mots les plus maladroits de la pensée parce qu'il n'y a rien de plus aisé que de lui donner un sens vague, lorsqu'on ne s'abstient pas de lui donner un sens. La liberté sans le mystère qui entoure ce concept est peu de chose. C'est peut-être parce que ce problème est flou, qu'il baigne dans une plaisante obscurité, qu'il s'avère aussi fécond en philosophie, où les chicanes et les exercices dialectiques sont plus nombreux que les raisonnements rigoureux aboutissant à un savoir positif.

Les dialogues sur la liberté ressembleront toujours aux mauvaises dissertations de philosophie faisant l'énumération des différentes conceptions de la liberté tant qu'on ne fixera pas rigoureusement le problème auquel le concept de liberté doit répondre. Non seulement le mot de liberté contient une multiplicité de sens et de niveaux, mais en tant que concept, il répond à des problèmes différents, selon l'angle choisi pour l'aborder. Comparer la liberté de Descartes à la liberté de Nietzsche n'a aucun sens : c'est bon pour la rhétorique des dissertations de terminale, pour faire briller de la mauvaise dialectique. Que de fois la philosophie n'est que vaine discussion, vain échange de savoirs, vain partage de réflexions stériles : stériles, car leur concepts sont vagues comme sont flous les problèmes auxquels ces concepts correspondent : pas de consistance, du flasque, du mou ! Ah ! Vaincre l'Urdoxa : rude tâche...

Le livre de Schopenhauer sur la liberté de la volonté est un modèle trop peu connu de recherche philosophique rigoureuse. S'inspirant largement de Kant, il prend le problème de la liberté métaphysique à sa racine, et avance avec la rigueur lumineuse et implacable qui le caractérise, et ceci d'abord parce qu'il a posé un problème sur un plan consistant, ayant des contours précis ; en l'occurrence, en cherchant à répondre à ce problème : puis-je être la cause libre de mes actions ? Ou, autrement dit, puis-je créer, de mon propre chef, un enchaînement de causalité qui n'est pas soumis à la nécessaire et universelle causalité qui régit l'ensemble des choses ? Une fois le problème ainsi posé, la recherche peut avancer d'un pas sûr, et même d'une course triomphante lorsqu'on est un aussi grand philosophe que Schopenhauer ; mais la plupart du temps, on bavarde, on tourne en rond, et on clame en consensus : "vive la liberté !"

Depuis Schopenhauer, il y a un philosophe qui a su innover en posant d'une nouvelle manière le problème de la liberté du sujet : c'est Bergson, dans Les essais sur les donnés immédiates de la conscience. En inventant son concept de durée, en critiquant dès son premier livre, et avec beaucoup d'acuité, les impasses auxquelles mènent l'analyse, qui est toujours une décomposition d'une unité, il a ouvert la voie à la conception d'une liberté indéfinissable dans son principe même, puisqu'elle s'oppose à la logique spatialisante du langage et de l'intelligence, restituant au moi concret, au moi qui vit réellement, sa primauté originelle. Nouvelle liberté, plus modeste, davantage lié à la personnalité de l'individu, considéré plutôt comme imprévisible acte de création plutôt que comme présomptueux libre-arbitre rendant capable de créer par soi-même une nouvelle chaîne de cause et d'effets dans le monde de la nécessité.

Ce qu'il faudrait aujourd'hui, c'est interroger le problème de la liberté du sujet à la lueur des progrès de la physique quantique ; mais les philosophes négligent les sciences positives, et, pour compliquer le tout, les savants, les spécialistes, peinent à rendre leur savoir accessible à la réflexion philosophqiue. Ici, je n'ai même pas osé aborder le cas de la liberté politique, liberté encore plus chantante que la liberté de la volonté, et, par là, encore plus difficile à démêler.

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