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Scolies
23 mars 2012

CLXIX

Ainsi ceux qui disent que l'homme cherche le plaisir et fuit la peine décrivent mal. L'homme s'ennuie du plaisir reçu et préfère de bien loin le plaisir conquis ; mais par-dessus tout il aime agir et conquérir ; il n'aime point pâtir ni subir ; aussi choisit-il la peine avec l'action plutôt que le plaisir sans l'action. Diogène le paradoxal aimait à dire que c'est la peine qui est bonne ; il entendait la peine choisie et voulue ; car, pour la peine subie, personne ne l'aime.

– Alain

Marathonien

Les fainéants ne manquent pas seulement de volonté, la plupart du temps ils manquent également, ce qui est généralement négligé, d'idées claires au sujet la nature du bonheur, du plaisir, de la peine, et de leurs rapports réciproques. L'esprit du fainéant pense toujours à la peine qui résulterait du travail envisagé ; lorsqu'il rêve du plaisir, il l'imagine toujours pur, sans mélange, absolument sans négatif ; d'où une incompréhension des actions qui fondent le bonheur de l'homme, qui sont toujours des actions nécessitant efforts, énergie et peine. Il ne peut concevoir que la peine puisse être féconde, et regarde comme des étrangers ces hommes forts, qu'il prend un peu pour des fous, qui aiment travailler, qui demandent toujours plus de travail, et qui disent s'épanouir dans cette dépense régulière des forces. Mais l'expérience fait voir que travailleur, est, en un sens, moins fatigué que le fainéant ; tout le monde l'a d'ailleurs éprouvé, il n'y a rien de plus fatigant que de ne rien faire, stagnant dans une ennuyeuse inertie, déprimant marasme dont la cause n'est rien d'autre que la passivité jointe à une volonté indéterminée et à l'économie contre-nature de l'énergie. Lorsque l'énergie de l'homme ne se déploie pas, la faiblesse l'envahit tout entier ; irrésolu, plaintif, et pleurant de regrets, contemplant le passé ou le futur qu'il n'a pas choisi d'embrasser, il est l'exact portrait de l'homme malheureux, de l'homme faible, du tchandala. C'est un fait : passer la journée au lit fatigue, et c'est évidemment une mauvaise fatigue, laquelle n'a rien à voir avec la fatigue du travailleur ; la première est stérile et affaiblissante, la seconde est féconde et reposante. Le bonheur de dormir, le fainéant ne le connaît point ; le sommeil est le juste privilège du travailleur.

Il y a des hommes qui plaignent, par exemple, le métier de président de la république, s'imaginant qu'une vie de travail si intense doit nécessairement être malheureuse ; ils ne voient que l'épuisement et la peine, sans regarder l'essentiel, à savoir l'effort, le mouvement, et la volonté déterminée vers un but précis. Qu'on ne s'inquiète pas pour le bonheur du président de la république ; il a conquis sa fonction, et doit la conquérir à nouveau presque tous les jours ; une telle pression dans la nécessité de l'activité ne peut que porter vers le bonheur plutôt que vers le malheur. L'exemple le plus simple, et accessible à tous, est celui de la course d'endurance, où l'on voit bien la dialectique entre la plaisir et la peine ; le milieu de la course donne la joie de dépenser ses forces, la fin de la course, qui est presque une torture à chque pas lorsque l'on essaye de se surpasser, donne essentiellement une peine tempérée par la pensée de l'effort accompli. Le bonheur n'est point dans le plaisir pur, il est dans le progrès ; les athlètes courant et suant seront toujours la meilleur image de ce bonheur exigent, bonheur aristotélicien, bonheur d'épanouissement, bonheur proprement humain.

 

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