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Scolies
18 juin 2012

CCLVI

Et il s'arrêta de courir. "Non, dit-il, maintenant je sais. J'ai toujours été un enfant ; mais c'est moi qui ai raison." La sueur fumait de son torse nu. Soudain, il fut prévenu comme un oiseau par un pétillement sous sa langue. "Ma !" cria-t-il. La foudre lui planta un arbre d'or dans les épaules.

– Jean Giono

A_view_of_the_Roman_Campagna_from_Tivoli,_evening_(1644-5);_Claude_Gellée,_called_Le_Lorrain

C'est le Bobi semeur de joie qui a raison, celui qui demande du tabac à Jourdan et qui désigne dans le ciel Orion-fleur-de-carotte. Il y a de la joie. Certaines sources se tarissent brutalement, ce n'est pas grave, je peux m'étonner, chasser les ombres, attendre le soleil, sûr qu'il viendra. Aurore est toujours là, elle n'a pas disparu, je le sais, et j'ai raison contre les ombres. Le paysage pourtant connu est nouveau à mes yeux ; la disparition les a blessés, mais ils voient du nouveau, ils voient la lumière, neuve. Ces hommes inconnus qui passent et qui me regardent, je sens que je les connais, à ma manière ; simples passants, ils m'emportent je-ne-sais-où, quelque part en moi, un recoin de moi que je ne connaissais pas. Le soleil frappe ; le bleu du ciel m'immobilise ; je m'arrête, je marche, et je m'arrête encore, plus longuement, et mes pensées vont où elles veulent, avec le vent léger et les passants inconnus qui s'installent en moi. 

Tout est pareil, là-bas, mais en mon âme tout est changé ; pour un moment seulement, mais c'est un moment qui survivra, car il est fécond et je sens ses germes pousser un peu partout en moi, là où il y a de la place. Je ne vois pas d'arbres qui s'agitent, ni de fleurs qui s'envolent, ni d'animaux qui courent ; la nature n'est pas autour de moi ; et pourtant, elle est là, tout ce qui appartient à l'atmosphère est nature, porteuse de richesses inutiles. En ce moment, je ne me sens justement pas utile, je suis au-delà des critères des marchands avides, j'existe pour l'existence elle-même, et la vie n'est signe que de la vie. Ils ne me font rien, ces indicateurs d'autres voies que celles de la vie ; ils sont ramenés à la vie elle-même, car Aurore n'a pas disparu et se promène en moi ; je suis seul, et elle joue avec mes cheveux, et je la porte, la caresse, la prend lentement par la main, elle est en moi, radieuse, heureuse. 

Alors oui, Bobi le semeur a raison, Bobi l'enfant est le réceptacle d'un arbre d'or, et ma joie demeurera. 

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