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Scolies
24 juillet 2012

CCXCII

Οἱ ἄνθρωποι γεγόνασιν ἀλλήλων ἕνεκεν· ἢ δίδασκε οὖν ἢ φέρε.*

– Marc Aurèle

marc001

Par cette maxime, le philosophe stoïcien nous enseigne une vérité que chacun peut appliquer au quotidien ; ne soyons pas la dupe d'une fausse modestie ! Il nous faut reconnaitre qu'en présence de certains individus et en certaines circonstances nous pouvons et, même, nous devons agir sur autrui. Il ne s'agit nullement de gouverner en dictateur son monde mais d'élever les personnes dont l'amitié et l'affection nous sont précieuses ; entendons-nous sur le mot "élever" et considérons-le dans son acceptation idéaliste, c'est-à-dire en pensant l'évolution positive qu'elle suggère. Élevons nos amis vers une sagesse de vie, vers une joie dans l'étude que, selon la formule rimbaldienne, "nul n'élude" et ne nous bornons pas à instruire autrui, au sens scolaire et abrutissant du terme, nos proches. Préférons le doigt pointé vers le ciel du sage philosophe et la plume légère du profond écrivain à la règle sévère du rigide maître d'école. Car cette instruction dont nous parle Marc Aurèle a ceci de spécifique qu'elle englobe en son sein un détachement essentiel de la part de celui qui prodigue un enseignement. Suggérons à nous, amis des lectures, des réflexions de notre cru et dont nous sommes intimement persuadés de l'objectivité, et, par là même, de la véracité ; agissons, en un mot, à l'image de ces messagers de la foi qui conduisent, avec assurance, leur fidèle sur le chemin de la vérité ; car toute vérité, malgré son caractère absolu et intransigeant, est l'enfant de toute réflexion profonde et, en cela, elle se révèle être féconde. Le métier d'un ami avisé est profondément idéaliste puisqu'il exige une volonté de s'unir intellectuellement mais aussi de s'ouvrir à l'autre pour, si cela est nécessaire, le mener patiemment vers des vérités qui lui étaient jadis cachées. Quel bonheur ineffable de révéler sa sensibilité singulière à un autre être, de quitter son moi ! Mais quel plaisir, plus grand encore, l'on éprouve lorsque l'on voit dans le visage émerveillé d'un ami s'illuminer le feu de la vérité, signe discret d'une évolution vers une compréhension plus grande du réel !

Cependant, il faut le dire aussi, il est bien rare d'agir à ce point sur autrui. Devenir un véritable Pygmalion suppose deux choses seulement mais elles sont indispensables : avoir, d'abord, une influence suffisante sur sa "statue" pour pouvoir la modeler idéalement et, ensuite, agir sur un être qui, en puissance et de manière effective, est capable de s'élever. Ces deux conditions, en réalité, ont infiniment de chance de ne pas se rencontrer, à l'image de ces atomes particuliers qui en s'unissant à un moment précis ont créé le miracle de la vie. Devant la rareté de ce phénomène, il ne faut ni s'étonner, ni se désespérer mais comprendre que nous devons agir avec distance sur autrui. Marc Auréle, en bon  stoïcien, nous apprend l'indifférence qui est, dans cette sorte d'enseignement, primordiale. Agissons sur autrui autant qu'il est possible de la faire mais ne nous tourmentons pas si sur la plupart des personnes cette influence positive ne donne pas naissance à l'effet escompté. Car certains ne nos amis sont aveugles face aux richesses que nous sommes prêts à leur prodiguer. Ces infirmes sont les victimes d'un mal fort répandu dans notre siècle souffrant : la médiocrité ! Le voilà ce monstre universel qui dévore tout ; femme et homme n'échappent pas à son tourment et lorsque l'on rencontre l'une de ces pauvres âmes irrémédiablement contaminées, il est bien rare qu'elle souhaite guérir. Refusant nos baumes salvateurs, ces malades se complaisent dans leurs vices d'où ils tirent une calme et débile jouissance. Sans colère et sans larme, il nous faut faire le deuil de nos espérances et, avec infiniment de recul, accepter et, surtout, supporter ces êtres chétifs. Une comédie se joue alors entre l'homme sage et l'aveugle contaminé ; le philosophe ou l'ami avisé est celui qui a la sagesse d'entretenir son amitié en consentant à supporter cette médiocrité sous-jacente, sans en être infecté lui-même. Marc Auréle nous enseigne l'acceptation d'autrui sans haine mais avec cette part d'indifférence joyeuse et compatissante faisant de lui un modèle de sagesse supérieure. 

* Les hommes sont nés les uns pour les autres ; instruis-les donc, ou supporte-les.

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