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Scolies
1 mai 2012

CCVIII

Périssent les faibles et les ratés ! Voilà notre philanthropie. Et on devrait même les y aider !

– Nietzsche

landru

J'affirme qu'Henri Désiré Landru, loin d'être un vulgaire criminel méritant notre mépris, comme on ne cesse de le croire quelque peu stupidement, est l'un de ces grands hommes qui font rayonner l'humanité par delà le bien et le mal et qui mérite toute notre estime et notre admiration. Que lui reproche t-on, au juste ? D'avoir séduit onze femmes afin de dérober leur argent, puis de s'en être débarrassé en les découpant soigneusement et en les brûlant allègrement dans un fourneau de cuisine. Bon ; ce n'est pas très banal ; et il est vrai que ce genre de moyen de gagner sa vie n'est guère apprécié par la majorité des êtres humains ; mais pour qui y regarde de plus près, ses actions peuvent apparaître dignes des plus beaux éloges. En vérité, Landru est une victime,une victime de plus, de l'aveuglement de la masse, de la foule, du médiocre troupeau humain incapable de regarder plus loin que les faits bruts en contradiction avec la morale niaise qui domine – hélas ! - le monde. Alors, osons, si vous le voulez, déchirer le voile qui assombrit injustement Landru ; et osons oublier nos préjugés pour apprécier cet homme puissant à sa juste valeur.

Je dis puissant – car il faut admirer l'exploit qu'il fit. Imaginez le, ce brave Landru, presque quinquagénaire, sans le sou et laid comme un pou : qui pourrait alors deviner que cet homme, banal et raté en apparence, eût la force physique et psychologique de séduire en quatre ans et sans se faire remarquer, plus d'une dizaine de femme, de prendre délicatement leur argent et de les brûler discrètement ? En vérité, Landru est le symbole par excellence de la puissance de la parole et du pouvoir de la rhétorique : il nous apprend à tous que l'éloquence est la plus forte des armes. Landru, ce Don Juan du crime, ce Cupidon du fourneau, parvint, en effet, par la seule habileté de son éloquence, à mettre dans son lit et dans son porte-feuille des femmes qui étaient pourtant sans doute bien vertueuses. Landru est donc le héros de la parole en même temps que le messie des moches : il montre aux plus laids d'entre-nous que la séduction repose bien plus sur la maîtrise du langage que sur la beauté éphémère de l'individu – de quoi redonner de l'espoir à de nombreux d'entre-nous.

On le méprise parce qu'il brûla des femmes dans un fourneau. Or, les femmes – ô vérité éternelle – sont comme les grenouilles : il n'y a que leurs cuisses qui sont bonnes. Par conséquent, Landru est l'homme qui sut le mieux savourer les femmes comme elles devraient l'être : mortes et bien cuites.

Rajoutons à cela que cette vie, dans laquelle nous n'avons nullement choisi d'atterrir, est bien ennuyeuse ; nous cherchons perpétuellement de nouveaux divertissements pour masquer le néant qui caractérise notre humaine condition. Vanitas vanitatum ! Vanité des vanité, tout est vanité et poursuite du vent ! Suggère l'inssipit de l'Ecclésiaste. Mais bien heureusement il existe des hommes tel Landru qui nous divertissent de notre condition et qui redonnent du goût à notre existence, la plupart du temps si insipide. Les hommes se font la guerre uniquement pour éviter de sombrer dans l'abime de l'ennui ; il est donc bien niais de refuser la guerre et l'affrontement dans la vie. Acceptons Landru et ses actes qui sont, avec le recul, si amusant et enrichissant : il est l'un de ces rayons ultimes qui illuminent, par la splendeur nacrée de leur lumière torride, ainsi que le font les papillons éternels dansants joyeusement dans les airs et les crépuscules merveilleux des soirs mystérieux où les hommes solitaires, exaltés devant le contraste poétique du sublime lyrisme de la nature envoutante et de la tiède morosité du quotidien exsangue, pensent avec délicatesse aux froides détresses d'autrefois et aux joies illuminés et parfumées de l'avenir où se maintiennent, roides et trompeuses, les mièvres mélodies de nos illusions perfides, – ah ! - l'un des ces rayons ultimes, dis-je, qui illuminent suavement et tendrement le fardeau implacable de notre humaine, trop humaine, bien trop humaine, beaucoup trop humaine, condition.

Bref, nous avons vu que Landru égayait notre vie ; mais pourquoi la masse pense t-elle avec tant d'obstination qu'il est un être indigne ? Parce qu'il est un criminel, clament-ils. Mais il est aisé de montrer que Landru n'est nullement responsable de ses actes. Ah oui. En effet, selon la loi de la causalité, tout est nécessaire ; chaque cause à son effet – et nulle exception ne saurait être toléré. Il n'y a pas de causes libres, de chaînes causales qui pourraient se créer par elles-mêmes... En somme il faudrait donc bien plutôt s'en prendre à la causalité, et non pas à cet homme innocent, comme chacun de nous, d'ailleurs.

La plupart des hommes jugent Landru immoral ; mais la morale n'est pas autre chose qu'une fable humaine inventée par les faibles pour se protéger des forts. Landru est un fort, injustement méprisé par les faibles, des tchandalas dont il faut ignorer les opinions erronées – pour ne pas dire débiles. « Périssent les faibles et les ratés ! Voilà notre philanthropie. Et on devrait même les y aider ! » clamait déjà le faible et raté Friderich Nietzsche.

Ceux qui ne sont pas satisfaits de cet argument peut-être un peu brutal, le seront peut-être par celui-ci, plus métaphysique : nous savons depuis Dostoïevski que si Dieu n'existe pas tout est permis ; or Dieu n'existe pas (nous passerons les démonstrations fastidieuses de l'inexistence de Dieu) ; donc tout est permis, y compris de faire cramer ses maîtresses pour gagner sa vie.

Enfin, les sages, les plus sages d'entre les sages, ont toujours conseillé de mettre en pratique cette maxime : amor fati. Si le destin voulut que Landru brûlât ses amantes, il faut, afin d'atteindre l'ataraxie et la sagesse, y consentir. On ne saurait déprécier un événement passé sans commettre une grave erreur éthique. Amor fati : aimons le fruit de la nécessité et aimons Landru, qui n' était qu'une accumulation de faits digne d'éloges, comme tous les faits de ce monde.


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