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Scolies
10 juin 2012

CCXLVIII

L'amour avec une inférieure, c'est-à-dire l'amour où l'homme met un peu de l'autorité du supérieur, et trouve dans la femme la légère et agréable odeur de servitude d'une espèce de bonne qu'il ferait asseoir à sa table, l'amour qui permet le sans-gêne de la tenue et de la parole, qui dispense des exigences et des dérangements du monde, et ne touche ni au temps, ni aux aises du travailleur, l'amour commode, familier, domestique et sous la main, – c'est l'explication, le secret de ces liaisons d'abaissement. De là, dans l'art, ces ménages de tant d'hommes distingués avec des femmes si forts au-dessus d'eux, mais qui ont pour eux ce charme de ne pas les déranger du perchoir de leur idéal, de les laisser tranquilles et solitaires dans le panier des Nuées où l'art plane sur le Pot-au-feu.

– Edmond et Jules de Goncourt

L_Esclave_blanche__Nouy_

La création artistique authentique est toujours personnelle. (Quant aux Goncourt, comme l'explique de façon si émouvante Edmond dans la Préface à leur Journal littéraire, ils avaient ce privilège rarissime de ne former qu'un seul être, qu'un seul moi, qu'un seul auteur, en étant pourtant deux entités différentes). D'où il suit que l'artiste ayant le désir puissant de se vouer à son oeuvre devra, par des moyens souvent déplaisants, s'efforcer de favoriser sa féconde solitude. De sorte que l'on peut dire, sans exagérer, que l'atelier de l'artiste est toujours sa chambre solitaire. Et qui est capable d'accepter et d'aimer sa solitude sinon l'artiste qui sent au plus profond de soi que son oeuvre a plus de valeur que le cortège des médiocrités qui défilent inévitablement dans le monde extérieur, hors de soi-même ? Proust, enfermé dans sa chambre, couché sur son lit, quoiqu'en compagnie de sa chère Céleste qui lui apporte du café, dans un nuage de lait, travaille seul ; la solitude est moins l'absence d'entourage que le receuillement sur soi, pouvant être, cela dit, favorisé par des personnes dévouées. 

Ces personnes là, ce sont presque toujours des femmes ; et ce rapport des artistes avec la solitude fournit une explication claire à de nombreuses incongruités dans le comportement des écrivains, des peintres, des compositeurs ou des philosophes à l'égard de la gente féminine. En effet, on observe, chez ces êtres supérieurs, ou bien une étrange distance prise avec les femmes (que ce soit sous la forme d'un éloignement volontaire des créatures susceptibles d'être aimées, tel le le cas exemplaire de Flaubert, ou, au contraire, sous la forme d'une frénèsie sexuelle, à la manière de Maupassant, qui revient à gagner avec des prostituées le temps que l'on perdrait avec des amantes distinguées) ou bien une tendance à solliciter, pour le bien de leurs oeuvres et d'eux-mêmes, cette grâce que seule de rares femmes sont capables de prodiguer et consistant à faciliter la difficile vie matérielle pour permettre au génie de se concentrer sur son objectif élevé. Georges Sand a pris pendant un moment ce rôle avec Chopin avant de se consacrer elle aussi à sa tâche d'artiste en écrivant Consuelo. Mais on sait que les grands génies ne prenaient pas souvent pour épouse les femmes les plus intelligentes, les plus capables d'excercer une critique sur les oeuvres produites. Aussi, l'artiste qui suit sa nature, et non les chants corrompus de la Vanité, se moque bien des critiques ; ce qu'il veut, c'est, à la fois, une tranquilité suffisante pour laisser s'épanouir ses talents, et à la fois une matière, un matériau pour nourrir sa puissance de création. Or, tout cela, c'est la femme inférieure intellectuellement, incapable d'être sa rivale, qui le réunit plutôt que la femme supérieure, agaçante avec ses prétentions, son irrécupérable complexe d'infériorité et ses ridicules vélléités de révolte contre l'homme supérieur.

Ainsi, il ne faut point s'étonner que Rodin préféra rester avec sa femme plutôt qu'avec son amante rivale Camille Claudel et que Flaubert envoya sauvagement ballader Louise Collet dès qu'elle commença à nuire à ses instincts et à sa relation avec sa mère bienveillante. 

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