XXXV
Quand on lit trop vite ou trop doucement on n'entend rien.
– Pascal
J'en vois beaucoup qui lisent sans savoir lire. Il y a peu de choses à dire sur ceux qui lisent trop doucement : ce sont ceux qui lisent sans enthousiasme aucun, qui voient davantage le labeur que le plaisir dans la lecture ; ils se forcent. Plus intéressant est le cas des lecteurs précipités, qui lisent un texte comme ils boivent un verre d'eau (alors qu'il faudrait lire comme on boit un bon vin) ; ils sont entièrement absorbés par un violent enthousiasme que je crois très peu naturel ; ils appartiennent à cette race d'homme, fiers d'être cultivés, qui, admirant, vénérant tout, n'aiment rien véritablement. Ils lisent un livre parce qu'il doit être lu par un homme cultivé ; et ceux qui cherchent à lire pour devenir un homme cultivé, voyant l'immensité de la culture, sont pressés : il y a tant d'autres livres à connaître, et tant de livres originaux, peu connus ! Ces hommes là ne pourraient pas choisir des livres privilégiés : ils veulent tout, ou rien. La rumination leur apparaît comme une perte de temps, alors qu'elle est la vertu du bon lecteur. Certains livres méritent, parce qu'ils nous semblent moins importants que d'autres, une lecture plus rapide que d'autres ; soit ; mais Proust, Nietzsche, s'ils doivent être lus, compris, assimilés, ce ne peut qu'être qu'à travers une lecture attentionnée, répétée : la précipitation avec eux – et avec l'ensemble des grands auteurs – tue la force et charme de la lecture. On peut prétendre avoir lu tout le Monde comme Volonté et comme Représentation, l'avoir effectivement fait en lisant plus entre les lignes qu'en pénétrant dans les mots, et n'y avoir rien compris. On en voit beaucoup, de ces arrogants lecteurs, qui, lisant tout (et surtout les livres originaux), admirant tout, en savent assez pour faire le pédant en société, mais qui sont incapables d'entrer dans la profondeur de ces livres lus en diagonale ; ils se contentent de la surface, car seule la surface est nécessaire pour réussir, par exemple, à faire une dissertation scolaire et pseudo-conceptuelle, ou à flatter son ego en comptant le nombre de livres avidement lus. La vérité de la lecture sincère se trouve dans le rythme naturel, et dans la capacité à revenir sans cesse sur ce qu'on a lu et aimé.