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Scolies
4 février 2012

CXXI

J'écoute pousser ma barbe.

– Jules Renard

oldman_photo

 

Comme l'admirateur de la nature aime à voir défiler les saisons, à s'étonner inlassablement de la renaissance de toutes les fleurs et du retour joyeux de tous les oiseaux au printemps, le barbu se plaît à contempler sa barbe pousser, jour après jour, jusqu'à ce que le visage devienne assez touffu pour qu'une tabula rasa s'impose. Mais la vie d'une barbe est souvent bien plus courte, elle se compte en semaines et non en année ; aussi, c'est tous les jours que l'on peut remarquer un changement perceptible sur le visage de l'homme qui laisse complaisamment fleurir ses poils virils. L'autre avantage est que l'objet de contemplation du barbu est lui-même ; il n'a pas besoin d'ouvrir la fenêtre ou d'aller se promener dans un jardin botanique pour jouir des transformations de nature, mais se contente de s'observer nonchalamment tous les matins dans son miroir. Le barbu est heureux d'être le maître d'un cycle naturel ; il joue avec l'éternel retour de la vie, comme le jardinier ravi de revoir toutes les années son cerisier bourgeonner. J'oserais dire que le barbu est une sorte d'hégélien du poil : il se plaît à considérer la dialectique de sa barbe, et sait que la vérité de la barbe, la réalisation de sa barbe, n'a lieu que lorsqu'il la coupe pour mieux la faire repousser. L'homme qui ne voit dans la barbe qu'un inconvénient et qui ne la laisse pousser que par négligence, sans joie aucune, ne sait pas qu'il possède sur lui un jardin naturel dont l'entretien et la contemplation peut lui prodiguer un contentement régulier et sans troubles. Fleurissez librement, barbes despotiquement rasées !

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