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Scolies
5 mars 2012

CLI

Ah ! Le pauvre être que je suis ! Seigneur, aie pitié de moi. Entre mes peines et les bonnes joies il y a conflit, sans que je sache de quel côté penche la victoire. Ah ! Le pauvre être que je suis ! Aie pitié de moi, Seigneur. Ah ! le pauvre être que je suis ! Voici mes plaies que je ne cache point : tu es médecin, je suis malade ; tu es miséricordieux, j'ai de la misère.

– Saint-Augustin

SaintAugustin

Je n'aime pas Augustin, il est vrai, et je l'ai traité de manière trop cavalière le jour passé. Je veux éclaircir le sens de ma démarche. Augustin a toutes les raisons de me déplaire ; il ne cesse pas de calomnier la vie, il blâme tous les sens, allant jusqu'à trouver de l'impiété à trop apprécier la contemplation du soleil, joie trop matérielle pour être pure. Il s'en prend évidemment aux plaisirs naturels de la chair, et se reproche d'avoir des images de fornication la nuit, dans son sommeil, gémissant une fois de plus sur son triste sort de mortel. Là est le problème essentiel : il ne se contente pas de geindre sur son sort ; il accable l'ensemble du genre humain, l'entraînant dans sa logique fallacieuse d'humiliation perpétuelle. Il ne s'en remet pas de n'être que cendres et poussières ; qu'il accepte sa destinée, ce chien battu, et qu'il cesse d'essayer de faire suivre les autres hommes dans sa chute ! Tout est affecté chez lui : sa dévotion exagérée empêche l'émotion de jaillir. Augustin est un ancien maître de rhétorique : derrière le théologien, son premier métier transparaît. Ses lourdes figures de style, ses répétitions affligeantes, sa maîtrise trop visible de la langue sont autant de petits traits qui prouvent sa fausseté. Il ne prête à aucun mouvement de conversion ; au contraire, il rend répugnant sa religion et les hommes qui la représentent. Ulysse, héros des Grecs, entendant les jérémiades démoralisantes de Philoctète, prend la décision juste de l'abandonner sur son île ; que ne peut-on faire de même avec Augustin, qui nous saoule avec ses malheurs hyperboliques et ses commandements absurdes à l'homme sensé : à quoi bon s'attaquer au théâtre et aux cantilènes ? Toutes les sources naturelles de joie, il les bannit ; c'est que sa religion le fait inverser l'ordre des choses, rendant impur ce qui est pur, faisant de la force faiblesse, et renversant les valeurs naturelles de l'humanité dictées par le bon sens ; tout l'aiguillon de la puissance est altéré par cette manière aussi subtile que nuisible de penser le monde. Quant à son apologie emphatique de sa mère, elle ne suscita en moi qu'une seule envie : celle de crier "Monique, je la nique ; je m'en fous de ta mère, je la nique ta monique !". Aussi, il est bien naturel, qu'à la fin des Confessions, une fois lu les rares passages réellement intéressants au sujet de la mémoire ou du temps, on est ait une envie irrésistible de gueuler du marquis de Sade ou des aphorismes de l'Antéchrist ; c'est autre chose, et surtout, c'est tout à fait un autre ton ; ça change, ça libère.

Et pourtant, je l'accepte ; j'expliquerai plus tard pourquoi ; en attendant, pour terminer sur une note heureuse, voilà un passage réussi des Confessions, qui montre qu'il n'était pas dénué de talent et d'amour, ce fichu père Augustin : "Il y avait dans nos rapports d'autres choses qui prenaient mon âme davantage : causer et plaisanter de compagnie ; échanger d'affectueux compliments ; lire ensemble des livres d'un style coulant ; folâtrer ensemble et ensemble être à l'honneur ; discuter parfois sans aigreur comme avec soi-même et, au cas d'un rarissime désaccord, en assaisonner l'accord habituel ; s'instruire par des échanges réciproques ; se réclamer absents, avec inquiétude ; s'accueillir avec joie au moment de l'arrivée et par signes d'amour, ceux-là et d'autres pareils, qui, lorsque l'on est aimé et que l'on aime en retour, passent du coeur au visage, aux lèvres, aux yeux, en mille très cher frissons ; fondre les âmes comme sous des braises et de plusieurs ne faire qu'une". Là, je ne crache pas sur le sepou, et j'admets qu'il s'agit de l'une des plus belles descriptions jamais faites de l'amitié forte et véritable ; je tire mon chapeau. 

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