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Scolies
1 août 2012

CCC

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.

– François de la Rochefoucauld

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En cette belle journée d'été, le soleil est à son zénith ; imposant, superbe, cette boule de feu familière m'étonne alors que, après ma sieste, je ne sais encore que faire de temps libre. Je me décide ; cet astre qu'on dit divin, je veux le défier ; je dépose fièrement et négligemment mon regard vers la grande source de lumière. Malgré ma détermination, je crois bien n'avoir pas tenu plus de trois secondes. Je suis maintenant aveuglé, je sens que ma rétine n'a pas appréciée l'exercice ; heureux d'être ainsi dominé par le maître de la nature, je titube un peu, me couche à nouveau, ferme mes yeux, et pense à ces tâches sombres, bleuâtres, indescriptibles qui occupent ma vision et mon entendement alors que mes yeux sont clos depuis déjà de nombreuses secondes. L'homme a besoin du soleil, il se doit de le célébrer, mais seuls les téméraires d'un instant essayent de l'affronter face à face ; Rê aime à être glorifié, mais punit dans l'instant ceux qui veulent regarder sa puissance de trop près.

Le soir venu, je pense à la citation de La Rochefoucauld, et désire affronter la pensée de la mort afin de me remémorer mes tristes angoisses d'adolescents, qui me semblent désormais tellement loin de ce que je suis. Je me couche sur mon lit, j'éteins toute source lumineuse, prend le soin de me plonger dans l'obscurité et le silence le plus total, n'ignorant point que l'Inquiétude comme la Mort sont filles de la Nuit. Je suis maintenant le plus possible isolé du monde ; mes sens sont presque muets ; aucun objet ne s'offre à moi ; mon entendement est livré à lui-même ; et ma pensée, d'habitude si proche de la terre ferme, s'égare sur moi-même, sur ce que je suis, indépendamment de mes souvenirs et projets, de mes passions et de mes préoccupations. Je me fixe moi-même, me plaît à me contempler en tant qu'être, et poursuis volontairement cette enquête sans fin. Je suis, j'existe ; je fais d'inutiles variations sur ce thème, sans avancer le moins du monde dans la perception de mon être. Imperceptiblement, je quitte la sphère étroite de mon être en tant qu'être, et reviens à mes pensées d'avenir, à mes aspirations les plus profondes ; je vois ma vie défiler en désordre selon ma rêverie, en vient à m'imaginer ma nouvelle position sociale, ma famille future, mon métier formidable, mes amis vieillissant avec moi, mes amusantes péripéties innatendues ; je vois des malheurs possibles également, et pense à ce que je pourrais faire pour les prévoir et les éviter ; et, enfin, pensée préparée et attendue, je songe à ma fin, je veux dire au terme et à la finalité de mon existence. Cette pensée est stérile, je le vois bien ; mais parce que je le veux, et parce que je suis fasciné par mon destin, j'insiste et creuse : que vois-je ? La vacuité de ma vie, la facticité de ma naissance, la certitude de mon anéantissement. Je suis, j'existe, et je vais mourir. Ce n'est point la possibilité de ma mort qui me préoccupe, il ne s'agit pas ici de risque et de contingence, mais bien de la nécessité implacable car absolument rationnelle de ma mort prochaine. Je suis destiné à mourir, je le sais comme deux et deux font quatre, ceci est irrévocable, inexorable ; aucune religion, aucune philosophie pourra me faire douter de cette loi de la vie : qui naît un jour, meurt un jour. Mon néant n'est donc point possible, il est une certitude ; et ce n'est pas seulement mon individualité qui disparaît avec ma mort, c'est mon être en tant qu'être. Maintenant, qu'est-ce que le néant ? Le néant, c'est l'absence de propriété ; par définition, le néant, ce n'est rien. Si je dis : je suis néant, je fais un contre-sens, car j'introduis de l'être dans le néant. Imperceptiblement, je m'aperçois que mon esprit, en cherchant à fixer mon néant, non seulement le manque, mais même l'abolit. Je veux penser à mon néant, et je trouve de l'être ;  je veux me plonger dans la pure nuit, et je fais jaillir de la lumière. Je vis, j'existe, et mon existence abolit toute pensée du néant. Ce n'est que l'échec de ma tentative de penser à mon néant, voire, si je suis narcissique, la fin injuste de mes belles activités, qui donne à ma méditation une tristesse vite dissipée. Échec fécond ! J'ai voulu me jeter dans la pensée de la mort, en deviner le fond macabre, et j'ai trouvé pourquoi la mort n'était pas à craindre. Rêvant la mort, j'ai senti la puissance de la vie ; j'ai vu l'irréductibilité de la vie et la lumière se profilant derrière toute ombre. Les angoissés  qui continuent à fixer le cours de leur pensée sur l'idée de leur mort ne sont pas moins sots que ceux qui tenteraient vainement de fixer le soleil à l'oeil nu plus de trois secondes. Ils ne le savent pas, mais leur aveuglement est signe de vie. 

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