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Scolies
21 mars 2012

CLXVII

Mais à quoi bon vous tirer de votre élément ? Qu'est-ce que ce monde, monsieur Holmes ? Un composé sujet à des révolutions qui toutes indiquent une tendance continuelle à la destruction ; une succession rapide d'êtres qui s'entre-suivent, se poussent et disparaissent ; une symétrie passagère ; un ordre momentané. Je vous reprochais tout à l'heure d'estimer la perfection des choses par votre capacité ; et je pourrais vous accuser ici d'en mesurer la durée sur celle de vos jours. Vous jugez de l'existence successive du monde, comme la mouche éphémère, de la vôtre. Le monde est éternel pour vous, comme vous êtes éternel pour l'être qui ne vit qu'un instant. Encore l'insecte est-il plus raisonnable que vous. Quelle suite prodigieuse de générations d'éphémères atteste votre éternité ! quelle tradition immense ! Cependant nous passerons tous, sans qu'on puisse assigner ni l'étendue réelle que nous occupions, ni le temps précis que nous aurons duré. Le temps, la matière et l'espace ne sont peut-être qu'un point.

– Diderot

3_diderot

L'un des arguments préféré des déistes et des parangons d'une nature créée car parfaitement organisée est celui consistant à célébrer avec grâce la beauté du monde ; c'est, en somme, la preuve de l'existence de dieu par les petits oiseaux chantant par un ciel ensoleillé. On est souvent ému devant ces descriptions emphatiques d'un univers entièrement réglé, entièrement prévisible, où tout s'emboîte, causes, effets, finalités, et ce, avec une unité si parfaite qu'ils ne peuvent s'empêcher de la dire divine. Ces passages sont souvent sur-estimés et n'évitent pas toujours le ridicule, comme en témoignent les célèbres explications finalistes de Bernardin de Saint-Pierre, qui n'est pas loin de dire que les souris ont été créé pour que l'homme se plaise à rire de leur femme peureuse ainsi qu'à faire des dessins-animés drôles genre Tom et Jerry. Or, ce qui est frappant, à la lecture des matérialistes, c'est non seulement qu'ils ne célèbrent pas moins la beauté du monde que les autres hommes, mais surtout qu'ils le font mieux, en y trouvant un charme plus fascinant et en déployant un style plus surprenant, toujours. Les apologies du cosmos faites par les déistes sont réglées comme le monde qu'ils fantasment ; les chantres du chaos et du hasard écrivent dans un style décousu et imprévisible comme cet univers mouvant qu'ils essayent gaiement d'effleurer. Trois noms suffisent : Lucrèce, Diderot, Nietzsche. J'aime cette majesté gracieuse de la pensée du désordre, pensée dont la vitalité tient de cet enchantant hasard qui secoue l'entendement et l'imagination et dont le virtuose du chaos sait habilement jouer pour embellir sa puissante théorie. La véritable beauté du monde ne se saisit point avec les mains des finalistes ; beauté fluctuante, elle ne peut être effleurée qu'en poursuivant ardemment son imprévisible mouvement. En d'autres termes : ce sont les matérialistes qui sont du côté de la vie, de la vie vivante, de la vie bergsonienne, et non les finalistes, qui ne peuvent qu'attraper que des concepts et des théories immobilisants la vie.

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