Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Scolies
10 octobre 2011

IV

L'homme qui médite est un animal dépravé.

– Jean-Jacques Rousseau

 

Jean_Jacques_Rousseau 

Cette pensée est excessive, comme bien souvent chez Jean-Jacques ; mais, comme bien souvent également, elle contient une violente part de vérité. Je ne peux m'empêcher de penser fort à cette pique contre la civilisation lorsque je regarde certains de mes camarades universitaires : je vois un animal courbé, un être aliéné par une culture de la labeur qu'il méprise au fond de lui-même. Je ne généralise pas ; la méditation est davantage un moteur qu'un fardeau ; mais la société, avec ses institutions maladroites, produit ces animaux pour lesquels la pensée est un devoir et l'enseignement une fatalité. Les esclaves sont partout, même dans la bourgeoisie cultivée ; l'absence de travail manuel n'est pas le signe de la liberté et la culture peut également devenir une usine exploitant le prolétaire qu'est l'étudiant sans enthousiasme.

On ne devrait penser qu'après avoir appris à aimer la pensée. Penser avec le cerveau empli de ressentiment, réfléchir en maudissant l'objet de nos recherches, c'est couper les ailes à la méditation. Quand la méditation ne permet pas l'augmentation de la puissance, quand elle n'aide pas à se libérer, Rousseau a mille fois raison : il vaut mieux un corps qui rapidement agit qu'un esprit qui travaille en pâtissant. La vraie méditation, comme toutes les bonnes choses de la vie, est une légèreté ; c'est un vent, tantôt capricieux et agressif comme une sonate de Scarlatti, tantôt puissant et calme comme la première Gymnopédie de Satie ; elle fait voler la pensée vers mille objets divers qu'elle aborde avec le sourire de la curiosité. Si la méditation libre ne permet pas toujours de réussir socialement, elle permet toujours de conduire l'homme vers son épanouissement.

Mais il faut toujours en revenir là : l'homme, pour ne pas être un animal dépravé, doit savoir bien désirer. Il sait voir les bons agencements pour sa complexion ; il trouve des points moteurs lui permettant de s'affirmer et de marcher vers son but. L'homme qui médite en soupirant, qui pense avec des lourds boulets dans le crâne, qui voit en l'objet de sa recherche non une impulsion, mais une répulsion, est un homme dont le désir est bloqué ; en somme, il s'agit d'un esclave de la pensée. On ne peut jamais dire qu'une activité est bonne ou mauvaise en soi ; il faut toujours observer les rapports qui se forment entre l'activité et le sujet qui la pratique : une action faite sans ferveur est un geste de servitude. Voyez les hommes libres, y compris parmi ceux qui méditent : ils se dirigent vers l'objet de leur action avec vivacité ; ils prennent l'obstacle comme un point d'appui pour leur désir ; ils déploient leur conatus sans se laisser entraver par de mornes plaintes. Voici ce qui distingue l'ouvrier de la pensée du sage véritable : la méditation du premier est une mécanique froide et sans âme tandis que la méditation du seconde est un ardent mouvement toujours recommencé vers la félicité.

Publicité
Publicité
Commentaires
Scolies
Publicité
Archives
Publicité