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Scolies
24 novembre 2011

XLIX

J'ai toujours tâché de vivre dans une tour d'ivoire ; mais une marée de merde en bat les murs, à la faire crouler.

Flaubert

Flaubert_Giraud 

L'homme est et restera un ζον πολιτικόν, d'où l'échec inévitable de tous ceux qui veulent s'abstraire de cette condition. Il est plus facile et moins déplaisant de s'adapter aux hommes que de tenter vainement de les fuir, car ils nous rattraperont toujours ; tous les châteaux misanthropes sont fragiles et finissent par être brisés ; tous les épigones d'Alceste sont condamnés à finir malheureux. J'aurais bien aimé, à l'école, disserté sur le choix entre Philinte et Alceste, c'eût été tellement plus stimulant et enrichissant que les dissertations tordues et pédantes fondées sur une citation de Roland Barthes... Ce choix en dit beaucoup sur la façon dont un homme essaye de considérer ses semblables. Il y a toutes les raisons objectives du monde pour être misanthrope, pour blâmer les autres, pour se plaindre de leur médiocrité, pour voir dans leur fréquentation pure vanité et perte de temps, pour regretter la féconde solitude, l'obscurité silencieuse et les méditations avec soi-même ; mais jeter l'anathème sur les hommes ne changent rien au fait que nous avons besoin d'eux, et que nous sommes forcés de nous adapter à eux. Je crois que l'on s'adapte aux hommes de la même manière qu'on cesse d'être misanthrope : en abaissant notre idéal de l'humanité afin de ne pas être déçu par ses membres. Philinte est d'une grande sagesse, et, au fond, dans la vie réelle et quotidienne, Cioran a plus suivi son enseignement qui celui d'Alceste ; c'est qu'il est nécessaire, dans la solitude justement, d'exorciser nos amertumes en raillant l'humanité afin de peut-être mieux l'accepter. Il y a une satire qui n'est pas fondée sur le ressentiment, mais sur le désir de mieux supporter les hommes.

Flaubert croyait trop à l'Art. Il avait quelque fois des moments de doute, et montrait dans ses lettres des phrases à faire désespérer l'artiste le plus exalté ou le philanthrope le plus sincère. J'admire Flaubert tel qu'il se dévoile, tel qu'il se lâche entièrement dans sa correspondance, au contraire de Proust, qui avoue n'avoir jamais été tant déçu par la correspondance d'un grand écrivain : il ne supportait pas la négligence de son style et sa vulgarité, c'est-à-dire précisément ce que j'aime dans ces lettres ! J'y vois un Céline en puissance ; j'y vois des idées et un style forts, et non pas des paysages et des hommes enguirlandés par des ornements trop ciselés et prémédités pour produire sur le lecteur un effet puissant ; j'y vois le prosateur de génie, prosaïque avec mille fois plus de splendeur que Balzac, et qui contraste avec le poète en sueur, lequel peut autant me ravir que m'agacer. Flaubert est plus spontanément moraliste (donc immoraliste, comme l'avait bien vu Nietzsche) dans sa correspondance que dans ses œuvres, et les moralistes sont ma race d'auteur préférée. Je préfère le cynisme de l'homme en colère à la trop parfaite perfection de la forme.

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