LXIX
Lever matin n'est pas bonheur ;
Boire matin est le meilleur.
– Rabelais
Parbleu, que j'aime la vision de la vie contenue là-dedans ! Les anciens Grecs (les seuls qui valent) se levaient peut-être tôt, mais leur petit-déjeuner consistait à tremper du pain dans du vin : voilà un rituel quotidien pour bien commencer la journée, sans doute plus efficace qu'une série de pompe avant l'aurore ou qu'une séance de petit grec matinale... Les Grecs, Rabelais, et l'ensemble des hommes heureux de ripailler à toute heure de la journée, à ce qu'il paraît, n'étaient pas, ô infamie, ô honte de l'humanité moderne, diététiquement correct !... Ils ne respectaient pas leur corps, les inconscients ! Ils ne se préoccupaient pas de la santé ! De la longévité ! Aucune décence, les porcs ! Ah ! Ils étaient fous ! Mais nous autre modernes avons inventé la santé ! Nous avons trouvé les clefs de la longévité ! Et nous avons inventé les chemins du bonheur ! Notre hédonisme à nous est doux, tout doux, tout sage ! Et rentable en plus ; nous jouissons au nom de la la croissance !
Je mets des points d'exclamations, mais c'est que les arrogants apôtres de la diététique sont aujourd'hui bien plus violents et oppressifs que les bien-pensants de la politique, bien que les deux ne fassent le plus souvent qu'un ; c'est une engeance à combattre. Que périssent les coincés et les hygiénistes ! Voilà notre seule diététique !...
Le vin, le pain, et le fromage seront toujours pour moi plus essentiels à mon bonheur, à mon épanouissement, à ma puissance, à ma vertu, à ma perfection (longue équation spinoziste !) que tous les livres du monde. La culture, c'est d'abord la terre et ses nourritures ; le reste ne vient qu'ensuite. Ce qu'il y a de beau, c'est que la culture de l'esprit s'accorde merveilleusement avec la culture du corps ; ce qui est laid, c'est la cohorte des rabats-joies venant séparer les deux, comme s'il y avait d'un côté les esprits purs, supérieurs, ardents et de l'autre les faibles et vulgaires pourceaux n'aimant que la chair ! Qu'on entende donc Rabelais ! Qu'on relise le Banquet de Platon ! Là est l'humanisme vivant ! Je tiens à l'innocence du devenir de Nietzsche ; mais il est maintenant temps d'innocenter la picolade et la ripaille, ce que Nietzsche s'est bien gardé de faire, lui qui ne supportait pas l'alcool et encore moins le tabac : Rauchen kann tödlich sein ! (Et ce pauvre myope coincé maladif et suicidaire serait dionysiaque ? Mon cul !). L'alcool met de bonne humeur ; la bonne humeur conduit aux bonnes actions ; les bonnes actions conduisent au paradis ; et le paradis, c'est le bonheur éternel : buvez donc en paix le sang du Christ ! Et enfin que les diététiciens modernes lisent ce définitif poème de mirliton de Philippe Muray, d'une autre volée que la poésie poétique des poètes sérieux, il leur est adressé :
Lâche moi tout
Fous-moi donc la paix
Avec la santé
Si je veux crever
Je t'ai rien demandé
Lâche-moi maintenant
Lâche-moi vraiment
Lâche-moi tout le temps
Lâche-moi réellement
Gros con malfaisant
Lâche-moi vraiment
On t'a rien demandé
Rends-moi mes amphés
Laisse-moi mes vices
Rends-moi mes délices
Mes Boyards maïs
Civilisatrices
Rends-moi mes Gitanes
Sans filtre et sans reproche
Et que Dieu te damne
Ou bien qu'il t'embroche
Tu pues le respect
Et tu pues la haine
Va donc t'occuper
De ta mort prochaine
Tu ne survis plus
Qu'en te croyant beau
De ne fumer plus
Tu es un corbeau
Lâche-moi localement
Lâche-moi totalement
Lâche-moi carrément
Lâche-moi pleinement
Tu es le vautour
Du Social sacré
Qui voltige autour
De ma liberté
Tu as bonne mine
Avec ta bonne mine
Ta connerie divine
Qui crie famine
Je t'ai rien demandé
Veux-tu décamper
Depuis trop longtemps
Tu me nuis gravement
Rends-moi mes plaisirs
Qui me regardent seul
Je n'ai pas désir
De ta très sale gueule
Occupe-toi de toi
T'occupe pas de moi
Quand je suis sans toi
Je suis comme un roi
Lâche-moi premièrement
Lâche-moi deuxièmement
Lâche-moi troisièmement
Lâche-moi tout le temps
Je suis sans effroi
Quand je suis sans toi
Je suis sans pourquoi
Je n'ai jamais froid
Je suis sans émoi
Quand tu n'es pas là
Tu menaces ma foi
Par pitié tais-toi
Va-t'en choléra
Laisse-moi ma santé
Je t'appartiens pas
Va te faire torcher
Je ne partage pas
Tes buts sur la terre
Je ne souhaite pas
Des vieux os y faire
Surtout avec toi
Ce sera sans moi
Je ne demande pas
D'aide humanitaire
Lâche-moi simplement
Lâche-moi purement
Lâche-moi brusquement
Lâche-moi subitement
Restitue-moi tout
J'ai rien réclamé
Redoute mon courroux
Rends mes voluptés
Mes psychotoniques
Et mes narcotiques
Et mes antalgiques
Très béatifiques
Et mes stimulants
Psychostimulants
Anorexigènes
Qui effacent la peine
Ceux du tableau B
Ceux du tableau C
Substances toxiques
Des plus sympathiques
Et tous les dopants
Et les stupéfiants
Et tous mes élans
Et les neiges d'antan
Lâche-moi gentiment
Lâche-moi salement
Lâche-moi méchamment
Lâche-moi totalement
Tu portes malheur
Avec ton bonheur
Ton précautionneux
Abus dangereux
Oublie-moi Ducon
Mets-toi bien profond
Toute ton obsession
De la protection
Va donc te faire mettre
Va te faire omettre
Te faire oublier
Arrête de faire chier