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Scolies
9 mai 2012

CCXVI

Ô éternel partout, ô éternel nulle part, ô éternel – en vain !

– Nietzsche

soleil_levant2

Je me méfie de l'éternité. Je me suis longtemps laissé enivrer par le mot et par le symbole. Alors, je ne me souciais point de déterminer les concepts ; et c'est une caractéristique de l'enfance, qui perdure encore jusqu'à l'adolescence, de s'enthousiasmer pour d'énigmatiques formes. D'où l'on voit, en passant, qu'ils sont nombreux, ceux qui n'atteignent point la maturité de la pensée : toujours ils se laissent gorger de mots aussi suggestifs que creux, toujours les mots sont pour eux les réceptacles imposants mais vides d'idées confuses. L'éternité est un mot courant ; pourtant, l'éternité est aimée des poètes et elle est une notion façonnée par des philosophes, ce qui devrait inviter à la méfiance.

Mais allons-y, plongeons franchement dans l'éternité. Tout porte à croire que l'éternité est un concept de pure opposition à la réalité : spontanément et inévitablement, nous faisons l'expérience de la durée, du temps qui se déploie sur le monde, de la temporalité envahissante qui nous engloutit ; nous savons que notre lutte contre le temps sera toujours vaine ; vulnerant omnes, ultima necat ; le temps est forcément pour nous cette réalité inexorable à laquelle nous sommes assujettis. Or, l'éternité, c'est précisément ce qui est en dehors du temps. L'éternité est un concept négatif : il se construit par rapport à ce qui est, il est une négation de ce qui est. La durée est inscrite dans l'expérience, elle est même au fondement de notre expérience ; mais quant à l'éternité ? Dès que nous ne pouvons pas soutenir une notion par l'expérience, nous planons par la pensée et nous atterrissons toujours dans quelque Coucouville-les-Nuées. Si l'homme tolérait l'idée de la durée, idée violente car intrinsèquement liée à celle de la mort, aurait-il senti la nécessité d'inventer l'idée d'éternité ?

Le poète m'aidera, peut-être. C'est la mer allée avec le soleil, me dit-il. Joli, mais je ne pige pas. Je prends alors un autre poète, que je prefère : 

C'est notre heure éternelle, éternellement grande, 
L'heure qui va survivre à l'éphémère amour, 
Comme un voile embaumé de rose et de lavande 
Conserve après cent ans la jeunesse d'un jour.

L'éternité ne doit point être prise comme notion isolée ; il faut la ramener à l'homme. Il y a un sentiment d'éternité. C'est ce que nous éprouvons dans ces instants puissants, dont nous sentons qu'ils s'ancrent durablement en notre mémoire, qu'ils s'inscrivent  au plus profond de nous-mêmes ; ces instants qui demeurent en nous et qui sont un triomphe de la mémoire sur l'oubli, ces instants sont malgré tout rattachés au temps. Ici, l'éternité est un sentiment qui n'est pas une rupture radicale avec la temporalité ; le sentiment d'éternité a un sens concret, et chacun a en souvenir de ces moments sublimes, impérissables, éternels. Fait remarquable, la musique, pure temporalité, peut donner ce sentiment d'éternitéC'est que l'éternité, prise en ce sens, n'est pas autre chose qu'une condensation de la durée ; tout se réunit en un seul point identique, et c'est ce point que nous appellons l'éternité. C'est en retrouvant l'idée de temps que l'on peut ramener l'idée d'éternité au concret. 

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