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Scolies
15 décembre 2011

LXX

Les hommes ne pensent pas sans joie à Colomb qui leur ouvrit la route de l'Amérique, à Newton qui découvrit un monde planétaire insoupçonné. Mais ils ne savent pas que les grands artistes leur rendent un service non seulement aussi utile, mais aussi réel, qui leur donne mainmise sur une partie non moins grande et non moins inconnue de la réalité.

Proust

 raphael_madone_seggolia

Si les apports des artistes à l'humanité sont moins remarqués, c'est parce que l'Art est de l'ordre de l'ineffable – non pas de l'indicible, car nous pouvons voir avec Jankélévitch qu'il il y a cette différence entre l'indicible et l'ineffable que le premier caractérise ce dont on ne peut rien dire parce qu'il n'y a rien à dire, et que le second qualifie ce qu'il y a d'inexprimable parce que si, dans ce cas, il y a des choses à dire, et même une infinité de choses à dire, ces choses dépassent tellement le langage que toutes les paroles du monde sont incapables de les saisir et de les fixer ; ainsi, la mort, le néant sont de l'ordre de l'indicible, et Dieu dans la théologie mystique et l'Art véritable, c'est-à-dire l'Art qui s'apprécie sans concepts, sont de l'ordre de l'ineffable. On peut parler à l'infini de la beauté du David de Michel-Ange ou écrire tous les livre que l'on voudra sur le théâtre de Shakespeare, personne ne pourra jamais parfaitement expliquer la puissance de leurs œuvres et figer par des concepts la beauté qu'ils expriment ; leur contribution à l'humanité ne peut pas être mesurée ou exprimée clairement ; et à celui qui ne sent pas cette beauté, on ne peut rien dire, on peut pas le convaincre, on ne peut rien prouver ni rien démontrer. Tout au contraire, il n'y a rien de plus aisément exprimable et compréhensible que les services rendus par les grands inventeurs ou les grands chercheurs ; nous comprenons tous (enfin... à peu près) pourquoi il y a un avant et un après Einstein, alors que beaucoup pensent que nous aurions très bien pu nous passer d'Homère, de François Couperin (génie si ignoré !) ou de Raphaël.

Le monde ne serait pas aussi beau sans Raphaël ; ou, pour le dire comme Proust, une part importante de la réalité, qui est évidemment tout à fait autre chose que la simple réalité objective et matérielle, nous demeurerait voilée. Raphaël a apporté à l'humanité la grâce baignée de lumière ; nul peintre n'exprime autant de chaleur réconfortante ; les sourires de ses madones donnent le sentiment d'être soi-même bercé par la mère de Jésus, ils transmettent un apaisement sans renoncement morbide ; et, chose remarquable, cette douceur si chrétienne n'est pourtant pas dénuée de sensualité et de vitalité : on comprend pourquoi ça ait tant emmerdé Nietzsche qui ne cesse de nier le christianisme de Raphaël en qui il voit « une certaine surchauffe du système sexuel », et tantôt de la sincérité tantôt de la fausseté... Raphaël est le plus grand artiste de la lumière, soleil de l’acquiescement et de la joie sereine ; la beauté de son univers ne contient point de négativité, elle regorge de positivité pure, semblable à la philosophie bergsonienne ; chassant les ombres de l'idéal de la beauté, frère de Mozart et de Racine, il fut le grand conquérant de la réalité lumineuse, la part de la réalité la plus difficile à exprimer – et c'est pourquoi tant d'autres se réfugient dans les faux mystères stériles de l'obscurité !

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