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Scolies
9 janvier 2012

XCV

L'historien n'est pas romancier du tout ; l'historien n'a point de jeunesse ; à chaque moment il nous dit ce qu'il sait.

Alain

 clio_muse_history_hi

C'est pourquoi les livres des historiens sont presque toujours ennuyeux. Par historien, il faut entendre ici l'historien moderne, faisant de l'histoire critique, cherchant dans tout son ouvrage à justifier prudemment ses hypothèses, se pressant de détailler tous les petits événements opératoires qu'il a laborieusement façonné afin de faire fonctionner la mécanique de son livre, se moquant enfin de l'expression, qui devrait pourtant toujours être l'essentiel dans un livre. Ce ne sont pas les informations contenues dans un livre qui comptent, mais la manière avec laquelle ces informations sont exprimées. Les livres des historiens modernes sont plus rigoureux et documentés que ceux des anciens, mais l'Histoire de France de Michelet, malgré toutes ses inexactitudes, principalement dues à sa naïve idolâtrie pour le peuple, restera toujours à la fois plus instructive et plus plaisante à lire que tous les livres trop sérieux des historiens actuels. Je préfère le lyrisme un peu pompeux de Michelet à la prose rigide et insipide des historiens d'aujourd'hui. Fasciné par Napoléon, je m'étais procuré et j'avais lu, il y a quelques années, l'ouvrage de Jean Tulard sur le sujet : je m'étais forcé à le lire en entier, et je n'en ai à peu près rien retenu, si ce n'est l'impression d'ennui se dégageant de la lecture.

Le siècle de Louis XIV de Voltaire est un modèle du bon livre d'histoire. Comme la Guerre du Péloponnèse de Thucydide, comme les Annales de Tacite, il s'agit avant tout d'un livre d'écrivain, c'est-à-dire un livre se démarquant par son expression singulière, universelle, et intemporelle. Si Voltaire fut un si grand écrivain, c'est parce qu'il sut n'être jamais ennuyeux en abordant des centaines de sujets guère attrayants par eux-même ; il fut l'inverse de l'historien moderne dont les livres tombent des mains de tant de personnes ayant une authentique bonne volonté de s'instruire sur un moment précis du passé. Les détails de l'histoire, exprimés platement, sont des maigres parcelles de vérité d'un ordre faible ; l'ordre supérieur de la vérité s'accompagne nécessairement d'une expression elle-même supérieure, car ce qui importe au plus haut degré dans l'événement historique, c'est précisément sa dimension non-historique, sa dimension intemporelle, éternelle. À travers l'événement historique, nous voulons voir une vérité universelle et intemporelle de l'être humain rayonner dans un décor singulier et temporel ; l'histoire pure, le passé pour le passé, sans introduction d'un sens permettant de donner de la valeur au contenu du passé, n'intéresse que les collectionneurs de faits.

Tout ce que j'écris ici s'éclaire par cet extrait du début du Siècle de Louis XIV : « Il ne faut pas qu'on s'attende à trouver ici, plus que dans le tableau des siècles précédents, les détails immenses des guerres, des attaques de villes prises et reprises par les armes, données et rendues par des traités. Mille circonstances intéressantes pour les contemporains se perdent aux yeux de la postérité, et disparaissent pour ne laisser voir que les grands événements qui ont fixé la destinée des empires. Tout ce qui s'est fait ne mérite pas d'être écrit. On ne s'attachera, dans cette histoire, qu'à ce qui mérite l'attention de tous les temps, à ce qui peut peindre le génie et les mœurs des hommes, à ce qui peut servir d'instruction, et conseiller l'amour de la vertu, des arts, et de la patrie. »

Plus je lis Voltaire, et plus je rêve d'un Voltaire du XXIème siècle.

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