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Scolies
23 juillet 2012

CCXCI

Au reste il est clair que le souvenir de l’oeuvre ne remplace nullement l’oeuvre ; même pour un poème solennellement relu, cela nous étonne ; et cet étonnement ne s’use point.

– Alain

Victor_Hugo-légende199

Tout grande oeuvre doit être relue. Ce n'est que par la répétition que l'oeuvre s'ancre progressivement en nous ; la première lecture est trop brutale, laisse une impression souvent vive, mais peu durable ; le souvenir s'altère rapidement et atténue la puissance de l'oeuvre. Au contraire, à chaque relecture, la grande oeuvre renaît avec un éclat toujours renouvelé. Rien n'arrête cet échange fécond du lecteur et du poète ; ici, le temps ne fait point vieillir : il porte le nouveau. Et la nouveauté réellement intéressante se trouve plutôt dans les choses anciennes que dans les choses nouvelles ; ceci est vrai pour le sujet comme pour la civilisation, je crois. 

Un poème aimé doit être appris par coeur. Par ce procédé tout simple et pourtant presque magique, l'oeuvre peut être convoquée à notre bon gré et autant de fois que nous le désirons. Le bonheur du poème n'a alors pas de fin. À chaque circonstances de la vie quotidienne, nous pouvons choisir de nous isoler avec le poète, de l'écouter chuchoter ses vers à notre esprit, de suspendre temporairement le flux ininterrompu et désordonné du monde moderne pour nous recueillir avec la poésie, l'art, l'humanité. Lorsque nous récitons un poème, notre mémoire, il est vrai, fonctionne comme un mécanisme ; toutefois, si nous ne demeurons pas passif devant cette prodigieuse mécanique et que notre esprit est éveillé, cette activité est merveilleusement vivante, c'est-à-dire imprévisible et créatrice. Cet étonnement ne s'use pointBooz endormi, le plus beau poème du monde, ne s'use point. Combien de fois ai-je été surpris d'une manière nouvelle en relisant ce poème ? Il y à peine deux ans que je l'ai connu. Je me suis pénétré de son sens des dizaines de fois, sans avoir besoin des commentaires des pédants pour cela. Que sera-ce dans cinquante ans, si la Providence capricieuse daigne me faire vivre jusque-là ? Peut-être me souviendrai-je, avec un peu de nostalgie, l'ingénuité de mon amour pour ce poème ; peut-être serai-je encore plus ingénu qu'à vingt ans. Ma lecture sera autre, c'est la seule chose certaine. 

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