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Scolies
11 février 2012

CXXVIII

C'est en Italie et au dix-septième siècle qu'une princesse disait, en prenant une glace avec délice le soir d'une journée fort chaude : "Quel dommage que ce ne soit pas un péché !"

– Stendhal

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Que comprend-t-on de cette phrase spirituelle, de la désobéissance incessante des enfants, des éternelles histoires d'adultères, du libertinage, de Belle de jour, de l'oeuvre entière du marquis de Sade, du besoin irrépréssible qu'ont certains hommes riches de voler des babioles, si l'on est pas attentif à l'importance de l'interdit dans l'élaboration du désir et à la jouissance que nous prenons presque toujours à la transgression d'une loi ? Les hommes qui font taire leur désir lorsqu'ils constatent qu'ils n'ont pas le droit de le réaliser ne sont pas vertueux, comme on le dit parfois, mais peureux ; et les parents qui croient bien éduquer leur enfants en leur interdisant catégoriquement toutes sortes d'activités seront bien vite détrompés. Montaigne, si je me souviens bien, raconte qu'il avait cessé de garder son château pour ne pas attirer les voleurs. L'interdit, agrémenté de difficulté, rend plus désirable les choses : c'est pourquoi le libertin Valmont connaît ses plus grands moments de bonheur avec Mme de Tourvel, celle de toutes les femmes dont la conquête est la plus excitante précisément parce que la réussite de l'entreprise est incertaine, flottant entre l'impossible et le possible.

Tout porte à croire que notre Léviathan n'ait pas pigé grand chose à ça, et qu'il resterait sceptique devant la formule d'Ovide : video meliora proboque deteriora sequor (je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal) ; sans quoi, il ne perdrait pas son argent et sa crédibilité à exhorter ses enfants terribles à manger cinq fruits et légumes par jour et à surtout ne pas abuser de l'alccol. Sage enfant, je ne parviens pourtant pas à appliquer les recommandations, pourtant omniprésentes, du médecin Hexagone. J'essaye pourtant de me soigner ; je lis les aimables conseils affichés sur mon paquet de cigarette et je tente de me dissuader de mourir impuissant, jeune, sans poumon, sans enfant, en contemplant les si bienviellantes images du vertueux Léviathan ; j'essaye d'admirer les publicités innovantes, si subtiles, si bien conçues, si pénétrantes qui s'agitent chaleureusement devant moi, dans la rue ou sur mon écran ; et, hélas!, je ne sais pourquoi, je finis toujours par m'allumer, sans honte aucune, une clope dangereusement brune, rêvant de Jean Gabin et enviant même la taille scandaleuse de ses cigarettes, bien que je sache pertinemment que c'est pour mon bien que les avisés administrateurs de l'Union Européenne ont réglementé et uniformisé ces bouts de papier contenant cette étrange matière d'origine sans doute diabolique et que les sages qui nous dirigent devraient bientôt, dans leur bon sens, interdire complètement.

Quel bonheur que désormais, grâce à l'habileté de Léviathan, boire et fumer ne soient pas des actes citoyens, ce qui est presque en faire de délicieux péchés !

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