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Scolies
1 mars 2012

CXLVII

Toute nation a le gouvernement qu'elle mérite. De longues réflexions, et une longue expérience payée bien cher, m'ont convaincu de cette vérité comme d'une proposition de mathématiques. Toute loi est donc inutile, et même funeste (quelque excellente qu'elle puisse être en elle-même), si la nation n'est pas digne de la loi et faite pour la loi.

– Joseph de Maistre

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Comme il est facile pour le philosophe de doucement se laisser s'envoler jusque dans le royaume nuageux des Idées et du devoir-être, le politologue et le juriste ont une aisance fabuleuse pour abstraire les hommes des lois censés les diriger, faisant comme si les citoyens étaient des figures librement modelables ; voilà qui est proprement faire de la politique abstraitement ; négligence du concret et, surtout, oubli du réel, encore et toujours, le réel étant cette évidence si peu acceptée que nous sommes obligés de la marteler nuit et jour pour qu'elle soit un tant soit peu acceptée par les hommes. On a pu dire que Clément Rosset, ce grand philosophe encore trop négligé, était répétitif et qu'il se contentait, dans tous ses livres, d'affirmer l'unicité du réel : mais, sacrebleu, quelle tâche ! C'est une idée qui a toujours besoin d'être actualisée, et sous toutes ses formes ; mais il s'agit là d'un autre sujet ; tâchons, pour changer, de ne pas trop digresser.

De fait, on a l'impression, sans doute fondée, que la plupart des politiciens exercent leur activité comme s'ils jouaient à Sim City, excellent jeu du reste, plus formateur pour l'esprit que les vulgaires FPS et niaisement colorés jeux de plate-forme habituels. Comme bien d'autres, je dois à ce jeu bien des heures d'excitation, et la naissance d'un goût qui ne s'est jamais tari pour la gestion, l'organisation et la prise de décision virtuelle, qui eût bien pu, si le sort l'avait voulu, se reporter sur les affaires politiques réelles. Mais si Sim City est un jeu excellent, il va de soi, puisqu'il s'agit d'un jeu, que la complexité du réel est largement supprimé ; pour que l'action soit possible, pour que le joueur soit à l'aise, et parce qu'il s'agit évidemment d'une nécessité technique et fonctionnelle, le monde qui nous est donné obéit à des lois simplistes, roule sur des rouages bien huilés, de sorte que le joueur avisé peut aisément prévoir le cours des événements et que, en somme, toute la ville dépend de lui, le démiurge bas de gamme ayant dans ses petits doigts un univers déterminé selon des règles trop grossières pour ressembler véritablement à l'univers réel.

Mais ils sont nombreux, ces hommes qui fantasment des lois magiques en espérant améliorer la vie de ces citoyens qu'ils prétendent façonner. Il est vrai que le politique détermine les citoyens, et je ne cesse pas de me moquer de ceux qui se prétendent absolument indépendants du Léviathan ; mais si l'on peut façonner les citoyens, c'est moins à travers les lois, qu'à travers la culture et les moeurs, ce que le capitalisme a d'ailleurs bien compris, lui qui a réussi à modifier à sa guise les manières d'être des hommes pour que leur comportement coïncident avec l'idéal de vie consumériste. L'erreur la plus grossière consiste à ne pas prendre en compte l'histoire des mentalités des citoyens qui composent la nation, et d'essayer de plaquer a priori sur elle une législation ou une théorie politique ; au contraire le bon politique est toujours empiriste. Il sait pertinemment qu'il n'y a pas de régime politique qui vaut par lui-même et qu'il est dérisoire de prétendre appliquer à des peuples différents un même système politique. Pour ne pas paraître trop abstrait, un exemple simple : la volonté infantile des occidentaux à imposer dans le monde le régime démocratique. Spinoza et Montesquieu, que nos politiques se gardent bien de lire, avaient pourtant mis en garde contre une telle dérive de l'usage des idées politiques.

Philippe Muray eut mille fois raison de préciser que la révolution qui était à l'oeuvre, celle du festivisme, était avant tout une révolution anthropologique ; d'où l'invention géniale de l'homo festivus, bientôt suivie par l'expression encore plus pertinente de festivus festivus. Il y a aujourd'hui, de toute évidence, un oubli volontaire de la notion de vertu dans la réflexion politique, alors qu'elle était auparavant au coeur de toutes les théories politiques. J'aime à me souvenir que Montesquieu, dans l'Esprit des lois, affirme que le ressort de la république est la vertu : cette simple remarque nous fait deviner ce que Montesquieu eût pu bien dire de notre régime actuel ou de ses citoyens.

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