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Scolies
11 mars 2012

CLVII

En toute chose la gêne et l'assujettissement me sont insupportables ; ils me feraient prendre en haine le plaisir même. On dit que chez les mahométans un homme passe au point du jour dans les rues pour ordonner aux maris de rendre le devoir à leurs femmes. Je serais un mauvais Turc à ces heures-là.

– Jean-Jacques Rousseau

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Il y a une distinction à faire entre la contrainte externe et la contrainte interne, et se souvenir qu'il y a une grande différence entre les devoirs que l'on s'impose à soi-même, ayant leur source dans l'autonomie de la volonté, et ceux qui nous sont imposés, les devoirs hétéronomes. Or, si l'homme ne saurait se passer de la contrainte, si tout ce qu'il y a de grand dans la civilisation est né dans son rude berceau, il est remarquable que certains hommes, et non des moindres, je veux dire des hommes géniaux tels que Jean-Jacques Rousseau, ne supportent pas les contraintes externes et qui ont entièrement construit leur oeuvre avec des exigences qu'ils se sont eux-mêmes données. Ces hommes là sont rares, car si les rebellocrates criant tous les jours qu'ils n'ont ni Dieu ni maître sans savoir se donner à eux-mêmes d'utiles contraintes abondent dans notre monde, de même que ces larves humaines si naturellement soumises aux ordres de toutes les autorités qu'elles semblent être nées avec cet art de ramper dont parle si bien le baron d'Holbach, il n'est pas commun de rencontrer un homme à la fois indépendant et travailleur, désirant à la fois la liberté individuelle et les hautes responsabilités qui l'accompagnent.

C'est un fait, un triste fait, que la grande majorité des hommes ne parviennent à agir que sous les contraintes extérieures ; sans elles, ils tombent dans une indigne léthargie, ils font rien ou ne font n'importe quoi ; et les anarchistes, ces idéalistes, ne s'aperçoivent pas que par la nature même de l'humanité, aucune nation ne pourra être constituée d'hommes réellement indépendants et libres. Les hommes, ils la veulent, la soumission ; ils l'exigent, plus ou moins implicitement ; ils en ont besoin, de leur servitude. Troupeau râlant, moutons bêlants, certes ; mais ôter leur la source de leurs cris, enlever leur le berger, et ils sont perdus. Il suffit de constater le petit nombre d'autodidactes dans le monde, alors qu'il y a aujourd'hui de si nombreux moyens d'étudier par soi-même, pour se rendre compte de l'impossibilité de généraliser à tous les hommes cette noble manière de vivre, qui est celle de l'homme libre et indépendant.

Ces élans d'insoumission à la Rousseau, je les aime, et les comprends. Combien de fois n'ai-je pas moi-même regretté de devoir étudier en classe une oeuvre que je vénérais, sachant d'avance qu'à cause de la contrainte extérieure que l'institution scolaire installait, j'en viendrais inévitablement à presque détester ce qui fut la source de tant de fécondes joies solitaires ? Je suis réellement heureux de n'avoir jamais été contraint d'étudier Stendhal, ce qui eût été pour moi une épreuve douloureuse, aussi étrange que cela puisse paraître ; non, on n'y a pas touché à mon Stendhal, on me l'a laissé intact, j'ai pu le préserver en mon âme, pur objet de bonheur ; les maîtres n'auront pas posé leurs sales pattes avilissantes sur mon calice. Il faut être un pédagogue de génie pour faire en sorte que la contrainte extérieure du professeur coïncide avec notre volonté autonome.

Le malheur, dans toute cette histoire, est que la plupart des insoumis qui ne supportent pas l'assujettisement ne sont que des misérables cons incapables de se façonner librement, et que, sur notre terre, les hommes du tempérament de Jean-Jacques sont aussi peu nombreux que les pandas. 

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