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Scolies
5 mai 2012

CCXI

Aussi voit-on constamment que l’habitude du travail rend l’inaction insupportable, et qu’une bonne conscience éteint le goût des plaisirs frivoles : mais c’est le mécontentement de soi-même, c’est le poids de l’oisiveté, c’est l’oubli des goûts simples et naturels, qui rendent si nécessaire un amusement étranger.

– Jean-Jacques Rousseau

Les tricheurs

Jean-Jacques, à son habitude, va loin, et, en une méditation sur le rapport entre le travail et le divertissement, sonde, et juge toute la société. En y songeant trop rapidement, en effet, nous pourrions supposer que les hommes ont d'autant plus besoin de divertissement qu'ils s'épuisent en labeur. Il n'en est rien. Le travail donne le devoir et le goût du travail ; plus un homme dépense ses forces dans une activité qu'il sait ne pas être inutile, et plus il s'en voudrait de perdre son temps et son énergie en de vaines distractions. Par de multiples inventions destinées à le divertir, l'homme se détourne de son chemin, et s'égare en des plaisirs de sens faible ; ce sont des jeux qui ne lui permettent de rien construire, des passe-temps qui nuisent à son épanouissement. Plus l'homme se complaît dans une ennuyeuse oisiveté, et plus il se détournera de la voie du travail, qui est la meilleure et pour la cité et pour l'individu. Jamais la fatigue du travail ne nuira davantage que la mollesse avilissante de l'ennui. 

Rousseau, on le sait, s'en prenait au théâtre lorsqu'il formulait de tels jugements. J'aimerais que l'on ait en tête nos divertissement modernes, tellement plus grossiers et bas, lorsqu'on réfléchit au rapport entre le travail et le divertissement. Les plaisirs frivoles, ce n'est plus le théâtre et le jeu de cartes, mais la contemplation des misères de la télévision, l'écoute passive de musiques qui traînent dans le cerveau, l'organisation de soirées dont le comportement des participants est si atrocement indigne qu'il incite à mépriser la nature humaine. Nous sommes dans une société qui met en place ces bas divertissements, comme si elle chechait par tous les moyens à éviter que les citoyens développent un esprit critique capable de se construire des pensées solides, rigoureusement enchaînées les unes les autres et permettant à l'individu de vivre en se donnant les moyens d'augmenter sa puissance. L'homme tend à la perfection, et c'est pourquoi il aime l'effort ; mais tout est fait pour nous dégoûter de l'effort et nous détourner de l'idéal de perfection. Qui passe son temps assis devant son fauteuil en regardant des séries américaines ne s'aime pas beaucoup soi-même, ou du moins, ne ressent nul élan sincère pour se servir à soi-même et aux autres. Et je crois que celui qui a su se déterminer un travail précis, en s'efforçant d'être le plus possible fidèle à ses exigences, est toujours moins porté à sombrer en des distractions inutiles que l'oisif qui ne s'applique qu'à trouver un moyen convenable pour s'oublier soi-même.

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