CCXXXIV
Pour décider, il faut de la force ; la raison n’a jamais que de la lumière.
– Comte
Ainsi voit-on que des hommes ayant tous les caractères de l'intelligence s'avèrent incapables de déployer les pouvoirs de leur raison aux moments opportuns. Et sans doute c'est à tort que nous leur accordons l'intelligence, car qu'est-ce qu'une intelligence dénuée de force ? Une intelligence abstraite n'est rien du tout. La raison nue ne vaut rien. Au contraire, être intelligent, c'est être capable de se servir de sa lumineuse raison lorsqu'elle s'avère nécessaire ; c'est appuyer sa raison sur l'expérience ; c'est faire servir les vertus de l'abstraction pour agir sur le monde concret. La raison en action est concrétisation ; sinon, ce qu'elle dort, qu'elle demeure passive, assise, inactive, dans son coin.
Napoléon n'est certainement pas un être dont la raison est supérieure à celle des autres humains. D'ailleurs, si l'on étudie son caractère, on remarquera, dépoussiérant le vieux mythe, qu'il n'a rien de surhumain. En revanche, il était réellement intelligent, c'est-à-dire que sa lumière naturelle n'était pas purement décorative, comme elle l'est pour un si grand nombre de pédants, mais qu'il la faisait se déployer, avec une force qui en imposait ; telle est la vertu de l'homme de pouvoir, toujours opportuniste en quelque manière. Ajoutez à cela une chance hors du commun, et vous avez un grand homme.