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Scolies
20 juin 2012

CCLVIII

Les arts seraient donc comme le miroir de l'âme et la musique, encore mieux peut-être que la poésie, nous aide à nous risquer jusqu'aux limites du sentir ; c'est sur ce bord extrême qu'elle nous sauve. Mais aussi elle n'est belle que si elle nous sauve. Et c'est pourquoi la musique sublime porte en elle quelque chose de redoutable que Goethe sentait très bien. L'indomptable est la substance de la musique. Une musique que le bruit ne menace pas, une musique qui ne surmonte rien, nous savons très bien ce que c'est. Il y a abondance, dans tous les arts, de formes qui ne savent que plaire, et qui sont sans rugueux, sans prise aucune. La musique qui n'est qu'harmonieuse n'est plus musique. C'est pourquoi les essais les plus hardis ici, et même artificiels, visent à retrouver et à côtoyer le bruit ; oui, mais à le vaincre. La musique se meut entre grâce et force, et nous sentons très bien ces deux excès.

– Alain

Ici, le principe de la musique véritable est compris, et, par là, il devient facile de distinguer les grandes oeuvres musicales des petits airs prétentieux et médiocres qui pullulent dès que l'on sort de chez soi. Cette grande vérité de la musique était déjà développée par Stendhal dans sa Vie de Rossini ; et vraiment, on ne comprend rien à l'art musical si l'on continue à penser, comme c'est de coutume, qu'une musique doit plaire aux oreilles sans jamais les irriter, qu'elle doit séduire l'auditeur le plus rapidement possible, et surtout, qu'elle doit rester dans la tête, se répétant inlassablement. Ainsi la plupart des hommes d'aujourd'hui confondent musique et jingle ; parce qu'ils ont un air dans la tête ils s'imaginent aimer la musique alors qu'ils n'aiment qu'une grossière suite de notes faciles. Le jingle, comme le bruit, est la négation de la musique.

Si l'on y prend garde, on s'aperçoit que le plaisir musical n'est pas autre chose que cette tension dont parle Alain et Stendhal entre la pure harmonie et le bruit. Il n'y a donc pas, à proprement parler, de musiques calmes, tranquilles, apaisées : ce n'est pas ce que l'oreille exercée cherche. Même dans les plus lents adagio, qu'on assimile presque toujours à la tranquillité, voire l'ennui, on entend ces élans violents et maîtrisés allant contre l'harmonie pure sans lesquels la musique serait sans intérêt. Les dissonances ne sont pas une invention du XXème siècle ; et l'écoute attentive de n'importe quelle sonate de Scarlatti fait directement sentir le principe de la musique, explicité avec la plus grande clarté par Alain dans ses Vingt leçons sur les beaux-arts. Scarlatti, et Beethoven encore plus : si, d'un avis unanime, il est le compositeur le plus fort, le plus violent, le plus puissant de l'histoire de la musique, c'est parce qu'avec lui la tension entre l'harmonie et la musique est poussé aventureusement jusqu'à l'extrême. Toutefois, toujours au bord du gouffre du bruit, sa musique ne saute jamais dedans : tout se soutient admirablement en ces vifs et brusques mouvements dangereux. En revanche, la téméraire musique savante et pédante moderne a plongé franchement dedans, et elle ne semble pas prête d'en sortir. 

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