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Scolies
29 mai 2012

CCXXXVI

L'amour, dans l'anxieté douloureuse comme dans le désir heureux, est l'exigence d'un tout. Il ne naît, il ne subsiste que si une partie reste à conquérir. On n'aime que ce que l'on ne possède pas tout entier. 

– Proust

L'amour est un mouvement et une recherche de mouvement. Par l'amour, l'homme se fait actif ; et non seulement il contemple l'évolution, toujours imprévisible, de ses sentiments, mais aussi il travaille à son amour employant ces outils de l'amour que sont le serment, l'élégie, la célébration, le retour sur soi et sur l'aimée, ou encore, signe sans équivoque de la puisssance motrice de l'amour, la volonté de conquête. Il n'y a peut-être pas de mouvement amoureux sans cette tendance, souvent problématique et tumultueuse à posséder l'autre. Qu'est-ce que peut bien vouloir dire la conquête d'un être qui nous aime déjà et qui montre déjà par plusieurs signes répétés qu'il nous appartient ? L'amoureux veut toujours plus : il veut plus de l'autre, c'est à dire plus de signes de la possession de l'autre. Sa quête ne s'arrête point ; car s'il s'arrête, c'est qu'il n'est plus amoureux. 

Pour l'amoureux, il y a toujours quelque chose de nouveau à conquérir ; c'est son intériorité qui explique ses poursuites extérieures vers celle qui n'est pas lui, vers celle qu'il ne pourra jamais posséder totalement. D'où l'on voit que l'androgyne de Platon n'est point une simple rêverie ; tous les amoureux sont androgynes en ce désir de se lier par le corps et par l'âme à l'être aimée et en cette recherche sans fin d'une communion impossible avec l'âme-soeur. Au départ, l'amoureux n'exige qu'un simple signe de réciprocité amoureuse ; il attend impatiemment le  "moi aussi, je t'aime". Ces simples paroles bientôt ne suffisent plus, et progressivement le désir naît de s'approprier des parcelles de plus en plus importantes de l'être aimée. Et bientôt, la présence même de l'être aimée ne contente plus l'amoureux : il craint ses moindre sorties et jusqu'aux petites pensées qui ne sont pas dirigées vers lui ; il veut être au coeur de l'être aimée, il veut être absoluement tout pour elle. C'est pourquoi ces rêves irréalisables d'ubiquité amoureuse tournent presque inévitablement au drame et à la souffrance, comme on le voit dans la malheureuse histoire d'Albertine et du narrateur de la Recherche.

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