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Scolies
14 juin 2012

CCLII

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

– Victor Hugo 

Walery_-_Victor_Hugo

La capacité à se recueillir en soi-même, à se concentrer sur ses sentiments personnels, l'introspection en somme, est réservée aux seuls êtres humains : on n'imagine pas un chien capable de fermer les yeux sur le monde extérieur pour mieux songer à son existence de chien, à ses amours de chien, à ses devoirs de chien. L'homme non seulement peut, par un effort volontaire, abolir momentanément le monde extérieur, mais il le fait spontanément dans certaines circonstances : l'introspection est naturel à l'homme. Non content d'agir comme les autres animaux, il pense à ses actions, les joue et rejoue mille fois dans son esprit, remodèle sans cesse ses souvenirs et sentiments, faisant vivre en lui un flux ininterrompu d'affects changeant. 

Le monde intérieur est subordonné au monde extérieur ; les informations données par le monde sont subordonnées à nos interprétations. L'homme dont le coeur est sombre voit la nuit partout ; il n'est pas attentif aux signes extérieurs de la joie, et se nourrit entièrement de ses propres productions internes. Si le noir domine son âme, sa perception du monde sera noire, comme, selon l'exemple de Descartes, ce malade de la jaunisse qui voit le monde tout en jaune. Les affects ne sont point des couleurs ; ils ne peuvent se résumer en des mots réducteurs ; expressions du moi profond, ils altèrent notre perception du monde avec une subtilité que nous auront bien de la peine à analyser. Le poète du moins peut faire sentir ces altérations invisibles au regard extérieur ; il donne un miroir de son âme ; tout devient transparent, car, par l'universalité de la représentation, il ouvre l'espace permettant la communication entre deux êtres singuliers n'ayant comme seul point commun que d'appartenir à l'humaine condition. Par là, ce voyage pourtant solitaire du poète, son inflexible recueillement sur soi, son indifférence sans affectation aux beautés de la nature, son air triste mais calme, morose mais résolu, ainsi que son harmonieux chemin vers l'acceptation de la mort injuste, est élevée de sa particularité limitée jusqu'au rang d'Idée universelle, capable d'être éprouvée et comprise par tous les hommes de coeur et de raison. Et la nuit pour nous sera comme la lumière du poète. 

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