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Scolies
1 juin 2012

CCXXXIX

La philosophie est comme la musique, qui existe si peu, dont on se passe si facilement : sans elle il manquerait quelque chose, bien qu'on ne puisse dire quoi. On peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais-quoi, comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien.

Jankélévitch

euterpe5

La grande majorité des hommes n'accorde pas la moindre importance aux muses, et ne semble pas plus malheureuse pour autant. D'ailleurs, le malheur exhibé des artistes et des philosophes ferait plutôt croire qu'une trop grande attention pour les arts et la pensée apporte des maux dont se passe fort bien l'homme commun occupé à ses activités triviales. Le dépressif Wittgenstein qui se fait jardinier après avoir écrit le Tractacus Logico-philosophicus est un exemple éloquent qui va dans ce sens là. La philosophie, d'accord, mais pourquoi pas plutôt les fleurs, les confitures ou les voitures ? Y a t-il une réelle supériorité de la philosophie sur les autres activités ? Car on pourrait croire que l'essentiel est d'agir, quel que soit le domaine, et qu'une existence passée à l'étude de Kant vaut bien celle du paysan travaillant sa vie durant pour la prospérité de sa terre. La philosophie a la prétention d'apporter un surplus qualitatif à l'existence et de n'être pas une activité comme les autres, voire d'être l'activité suprême, qui permettrait de coordonner les autres activités inférieures. Ce serait très beau si l'expérience le montrait. La vérité est qu'un philosophe, dans la quasi totalité des cas, vit comme un autre homme, si l'on oublie ses drôles d'extravagances qui participent d'aucune manière à son épanouissement. Il est vrai également que la plupart des philosophes se sont contentés de penser en philosophe, sans  vivre en philosophe. J'en veux beaucoup aux philosophes qui, non content d'opposer abstraitement la pensée et la vie, se servent de leur pouvoir de penser pour attaquer la vie, pour lui trouver de faux problèmes, ou pour aggraver, par de lourds concepts, les maux que doivent affronter tous les hommes. Kierkegaard, surestimé depuis la grossière avalanche existentialiste, est le plus symptomatique de ces philosophes pathologiques.

Il est donc difficile d'avoir une vue tranchée sur la question, tant est incertain le bonheur qu'est censé procurer la philosophie. Le scepticisme a peut-être raison sur ce point. Certains préfèrent vivre sans philosophie, d'autres préfèrent vivre sans vin, et d'autres encore, dont je suis, préfère vivre avec les deux. Il n'y a pas de quoi s'ennorgueillir. 

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