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Scolies
7 novembre 2011

XXXII

Si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait toutes les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan.

Pascal

 Gustave_Courbet___The_Sleeping_Spinner___WGA05461

Cette remarque est éloquente, bien que rien ne soit moins sûr qu'être roi est préférable à être artisan. Parce que nous n'en percevons que des bribes, et que nous lui collons la stupide étiquette du mensonge, de la fausseté, de l'irréalité, nous négligeons le royaume de Morphée et une grande part de notre vie effective. Celui qui essaye de devenir attentif à ce monde nocturne trouve dans les songes, non nécessairement un réconfort ou une sécurité reposante, mais une curiosité insatiable, un amour étonnamment fécond pour les aventures oniriques qui se déroulent en lui toutes les nuits.

À la source de cette méprise est la croyance en l'irréalité des rêves, c'est-à-dire que nous relativisons leur portée sous le prétexte que les événements dont ils sont constitués ne sont pas arrivés dans la vie consciente, assimilée sans réflexion à la seule vie réelle. Mais précisément, tout est réel, dans notre vie, y compris nos erreurs, nos mensonges, nos fictions, nos illusions ; il faut lire et relire la première proposition du quatrième livre de l'Éthique, sur laquelle je reviendrai certainement ; il faut, en un mot, prendre conscience de la positivité de l'idée fausse, et donc des illusions, et donc des rêves.

J'ai souvent eu, dans mes rêves, des moments de joies intenses qui n'ont pas été moins importants que des joies venant de la vie consciente ; et il n'y a pas de différence de nature entre les affections oniriques et les affections conscientes. J'ai rêvé, une fois, que j'embrassais une jeune fille que j'aimais et que je m'élançais avec elle vers mille chemins contradictoires, dans un tourbillon et une confusion joyeuses que n'apportent que l'atmosphère des songes : au réveil, je mis quelques secondes avant de comprendre que ce qui venait de m'arriver était illusion, mais je n'en fus pas moins heureux, et je chéris ce souvenir comme d'autres événements intenses de ma vie consciente.

Apprenons donc à le découvrir, ce royaume si riche et fécond ! Ne l'oublions pas, ne le négligeons pas ; il mérite notre attention, et pour nous connaître nous-mêmes, et pour jouir de ses aventures positives. Et ça se travaille ; ça demande de l'entraînement, des exercices, de la concentration, de l'habitude ; et c'est seulement si nous remplissons ces exigences que nous pouvons tous les jours nous remémorer nos rêves et juger de notre bonheur ou de notre malheur nocturne. Mes rêves sont presque toujours heureux, et rarement malheureux, de sorte que je suis toujours content de pouvoir m'en rappeler ; est-ce une tendance universelle, ou une tendance de ma nature propre ?

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