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Scolies
14 novembre 2011

XXXIX

Le bonheur, c'est de le chercher.

Jules Renard

13mythol 

Le paradoxe n'est qu'apparent et cache une belle vérité, qui est d'ailleurs la leçon essentielle des Propos sur le Bonheur d'Alain. C'est une grande erreur, pour le cas du bonheur, de s'en tenir à l'étymologie : prendre le bonheur dans le sens de la bonne heure, c'est s'orienter dès le départ vers une mauvaise voie ; et pourtant, il semble que cette conception est celle du sens commun. Combien d'hommes se plaisent à imaginer ce qu'ils feraient s'ils devenaient soudainement riches ! Comme ils sont nombreux, ces tchandalas qui se plaignent de leur sort, qui envient la vie des autres, et qui se contentent d'implorer le hasard ! Nous le voyons clairement : si nous allons dans cette direction, nous conclurons rapidement que le bonheur, c'est de tomber dessus, ou, au mieux, pour les moins faibles, de le trouver : conclusion creuse qui ne satisfera que les faignants. Il faut donc commencer par refuser le bonheur dans le sens de l'εὐτυχία (la bonne heure, la bonne fortune ; bref, le bonheur qui tombe par chance sur notre tête).

Il suffit maintenant de se laisser guider par la phrase de Renard pour avancer. Si le bonheur ne se reçoit pas, c'est qu'il se conquiert ; si l'on a pigé ça, le reste va tout seul. L'homme ne peut être heureux que s'il déploie ses forces, s'il utilise son énergie, si, en somme, il est pleinement actif. Chercher le bonheur, c'est écouter son désir et avancer avec toute sa force propre vers le chemin que trace tous les jours ce désir. Les malheureux ne sont pas ceux qui vivent dans la douleur, ce sont ceux qui restent passifs, qui ne parviennent pas à se construire un projet déterminé et à le suivre de toute leur force ; ils attendent qu'on leur donne le bonheur – tant qu'ils ne se sortent pas les doigts et la volonté du cul, ils peuvent attendre longtemps... Le bonheur, ce n'est pas le loto ; le bonheur, c'est la bataille sans cesse recommencé ; il vaut mieux être Napoléon qu'un riche héritier. Le bonheur ne se trouve pas, il n'y a pas de clefs du bonheur ; ce sont des fumisteries d'hommes faibles et malheureux ; il n'y a que des combats joyeux qu'il faut toujours réitérer. De ce point de vue, tous les combats sont bons, tous sont auréolés de la même innocence et de la même vertu ; la vie offre des possibilités infinies que chacun, selon son idiosyncrasie, doit exploiter au mieux. Le bonheur, c'est de le chercher : choisir une direction, la suivre, construire sa méthode, s'y conformer, se battre, ne jamais rester pleinement contenté, s'efforcer d'augmenter sa puissance d'agir, et toujours courageusement continuer : voilà comment nous cherchons le bonheur, voilà comment nous avançons joyeusement dans l'existence. 

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Commentaires
D
Heureusement que les discussion sont sans fin, nous arrêter en chemin nous mènerait à une conclusion, laquelle est souvent mortifère.<br /> <br /> Vous avez probablement raison en ce qui concerne la "légèreté" ou "trivialité" du "bonheur". Comme je suis fou, je cherche probablement l'extase, ou une sorte d'absolu. Pathologique !, me dirait Cioran.<br /> <br /> Mais la possibilité d'un rire me fait éviter le pire (lequel pourrait être le meilleur, qui sait...).<br /> <br /> Mais c'est l'heure de mon calmant. Au lit.
B
Vous me faites un peu penser à Alberto Caeiro, le berger de Pessoa auteur des Poèmes Païens que je relis en ce moment. Un petit extrait :<br /> <br /> "La confondante réalité des choses<br /> Est ma découverte de tous les jours.<br /> Chaque chose est ce qu'elle est<br /> Et il est difficile d'expliquer à quiconque à quel point cela me réjouit,<br /> Et à quel point cela me suffit.<br /> <br /> Il suffit d'exister pour être complet."<br /> <br /> Peut-être qu'au fond ce que vous essayez de décrire est-il plus élevé que le bonheur, et qu'il s'agirait plutôt de béatitude ? Il me semble que le bonheur est plus trivial : il ne saurait être une extase, l'atteinte d'un absolu, ou une sortie hors du temps et du monde ; au contraire, le bonheur est mouvant, il se fait sans jamais s'arrêter au sein de la durée, il est profondément temporel, et exprime la joie sans cesse renouvelée qu'a la vie à toujours et toujours créer. Mais il s'agit évidemment là d'un sujet de discussion sans fin !...
D
"Et quand IL croit serrer son bonheur, il le broie", pardon pour cette coquille.<br /> <br /> (Nous corrigeant sans cesse, nous finissons par devenir fous, comme nous rendons fous les autres en tentant de les corriger)<br /> <br /> Hop, je vous en dois une autre !<br /> Merci
D
"Je fuis le bonheur pour qu'il ne se sauve pas" Francis Picabia.<br /> <br /> Car en effet, ... "Et quand croit serrer son bonheur, il le broie".<br /> <br /> Selon moi, le "bonheur" (par ailleurs bien difficile à définir par des mots) est une sorte de flottement hors du temps, sans désirs ni contraintes, une sorte de ... mot introuvable, alors par défaut Joie Intérieure - ce n'est pas le bon mot. Un état de solitude parfaite en pleine conscience, hors du monde, et en même temps une sorte d'unité avec le souffle du vent et la force des arbres. Une parfaite présence au monde "sauvage" - ce n'est à nouveau pas le mot qui convient.<br /> <br /> Pauvres mots !<br /> <br /> Je vais encore me faire traiter de mystique ! Bah, par ailleurs peu importe puisque vouloir réduire quelqu'un à un mot ou le placer dans une catégorie de gens est une sottise - il m'arrive bien souvent de réduire, et même avec un immense plaisir, mais seul celui qui n'a pas lu la première maxime de Chamfort prendra mes réflexions à la lettre.<br /> <br /> Bref, radotage métaphysique, comme me disait un ami qui ajoutait "nous sommes des branleurs métaphysiques" et à qui je ne peux que donner raison !<br /> <br /> Il est l'heure d'aller donner à manger aux chèvres, je vous laisse avec mes imprécisions posées sur le doute en guise de conclusion.<br /> <br /> Amitiés depuis l'Orée<br /> delorée
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