XXXIX
Le bonheur, c'est de le chercher.
– Jules Renard
Le paradoxe n'est qu'apparent et cache une belle vérité, qui est d'ailleurs la leçon essentielle des Propos sur le Bonheur d'Alain. C'est une grande erreur, pour le cas du bonheur, de s'en tenir à l'étymologie : prendre le bonheur dans le sens de la bonne heure, c'est s'orienter dès le départ vers une mauvaise voie ; et pourtant, il semble que cette conception est celle du sens commun. Combien d'hommes se plaisent à imaginer ce qu'ils feraient s'ils devenaient soudainement riches ! Comme ils sont nombreux, ces tchandalas qui se plaignent de leur sort, qui envient la vie des autres, et qui se contentent d'implorer le hasard ! Nous le voyons clairement : si nous allons dans cette direction, nous conclurons rapidement que le bonheur, c'est de tomber dessus, ou, au mieux, pour les moins faibles, de le trouver : conclusion creuse qui ne satisfera que les faignants. Il faut donc commencer par refuser le bonheur dans le sens de l'εὐτυχία (la bonne heure, la bonne fortune ; bref, le bonheur qui tombe par chance sur notre tête).
Il suffit maintenant de se laisser guider par la phrase de Renard pour avancer. Si le bonheur ne se reçoit pas, c'est qu'il se conquiert ; si l'on a pigé ça, le reste va tout seul. L'homme ne peut être heureux que s'il déploie ses forces, s'il utilise son énergie, si, en somme, il est pleinement actif. Chercher le bonheur, c'est écouter son désir et avancer avec toute sa force propre vers le chemin que trace tous les jours ce désir. Les malheureux ne sont pas ceux qui vivent dans la douleur, ce sont ceux qui restent passifs, qui ne parviennent pas à se construire un projet déterminé et à le suivre de toute leur force ; ils attendent qu'on leur donne le bonheur – tant qu'ils ne se sortent pas les doigts et la volonté du cul, ils peuvent attendre longtemps... Le bonheur, ce n'est pas le loto ; le bonheur, c'est la bataille sans cesse recommencé ; il vaut mieux être Napoléon qu'un riche héritier. Le bonheur ne se trouve pas, il n'y a pas de clefs du bonheur ; ce sont des fumisteries d'hommes faibles et malheureux ; il n'y a que des combats joyeux qu'il faut toujours réitérer. De ce point de vue, tous les combats sont bons, tous sont auréolés de la même innocence et de la même vertu ; la vie offre des possibilités infinies que chacun, selon son idiosyncrasie, doit exploiter au mieux. Le bonheur, c'est de le chercher : choisir une direction, la suivre, construire sa méthode, s'y conformer, se battre, ne jamais rester pleinement contenté, s'efforcer d'augmenter sa puissance d'agir, et toujours courageusement continuer : voilà comment nous cherchons le bonheur, voilà comment nous avançons joyeusement dans l'existence.