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Scolies
17 décembre 2011

LXXII

Quand on veut devenir philosophe, il ne faut pas se rebuter des premières découvertes affligeantes qu'on fait dans la connaissance des hommes. Il faut, pour les connaître, triompher du mécontentement qu'ils donnent, comme l'anatomiste triomphe de la nature, de ses organes et de son dégoût, pour devenir habile dans son art.

Chamfort

 anatomie

Il y a une plaisante similitude entre le dissecteur d'animaux bizarres, découvrant joyeusement sous l'apparence parfois séduisante un système biologique déroutant mais parfaitement rationnel, et le philosophe, qui, avec la même joie, laquelle vient de leur curiosité naturelle et de leur amour pour la raison, déplie l'âme de l'homme, en voit les articulations, et met en lumière son fond véritable. Si les Dieux sont dans la cuisine et les insectes, ils sont aussi dans les profondeurs rebutants de l'homme ; et la formule d'Héraclite interprété par Aristote ne fait que de montrer qu'il n'y a rien de laid et de détestable dans le monde pour celui qui s'applique à comprendre ce qui l'intéresse, en réduisant au silence ses émotions importunes, et en faisant de sa curiosité un moteur pour sa raison. Le philosophe n'est pas plus misanthrope que n'est entomophobe l'entomologiste. Nous ne sommes pas dégoûtés par ce que nous comprenons, car comprendre implique prise de distance ; et il n'y a pas de joie plus stable et sûre en ce monde que celle de contempler, sans se sentir directement concernés, les jointures cachés des êtres singuliers qui nous entoure. C'est en ce sens que le rationalisme est un eudémonisme.

Le philosophe dissèque les passions ; l'artiste les condense et les met directement en avant. L'un met les mains dans le cambouis pour montrer les rouages du mécanisme ; l'autre affine l'agencement de l'homme, le fait briller, le rend fascinant et intuitivement compréhensible. Le philosophe ne cesse pas de tout déplier, d'explicare, de montrer les intermédiaires cachés, de dramatiser les médiations invisibles ; l'artiste, qui ne comprend évidemment pas moins les hommes que les philosophes, au contraire, apporte la connaissance des passions en les incorporant en des personnages, en leur insufflant un mouvement artificiel, qui, par la concentration et l'épuration qu'implique ce procédé, fait précisément voir, instantanément, sans médiations conceptuelles, la nature pure, l'Idée, la réalité profonde, de ce qui se meut fictivement. Deux chemins différents qui ont pu suscité bien de l'incompréhension des deux côtés, alors que les deux se complètent, se croisent sans cesse, et font la joie des mêmes éternels curieux.

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