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Scolies
5 août 2012

CCCIV

Il y a des hommes qui ont besoin de primer, de s'élever au-dessus des autres, à quelque prix que ce puisse être. Tout leur est égal, pourvu qu'ils soient en évidence sur des tréteaux de charlatan ; sur un théâtre, un trône, un échafaud, ils seront toujours biens, s'ils attirent les yeux.

– Chamfort

memling-vanite

La voici, la grande arrogance humaine ! Le suprême besoin qu'a l'homme de toujours se faire voir et valoir. La vanité est un péché, certes, mais à la différence de la gourmandise ou de la luxure, il est tellement répandu chez les hommes qu'il passe, aujourd'hui, pour vérité générale. Chaque homme, du plus intelligent au plus bête, pense et agit en fonction d'autrui, dans le but de se grandir lui-même. Nous cherchons tous la reconnaissance de nos semblables car nous doutons nous même de nos aptitudes et de nos talents. Le besoin d'être reconnu finalement est légitime car il est l'unique moyen dont nous disposons pour attirer les regards sur notre personne. La vanité est un nécessaire, pour l'homme, à la manière de ces grands fauves qui ont soifs de puissances et de domination. L'homme tente, coûte que coûte, de briller en société et le moindre reproche, la moindre moquerie, la moindre affirmation erronée qu'il peut dans un moment d'oubli proférer, amène les rires de son auditoire ; rires qui sonnent comme le glas funeste d'une condamnation sociale qui peut, dans les cas les plus extrêmes, devenir un exil. Le mondain est banni de certains salons à la manière de certains anciens grecs disgraciés. Mais être remarquable et remarqué dans les milieux mondains ou au sein de toute assemblée est un moyen de se protéger d'autrui car l'oubli est également une forme d'exil ; les mondains, s'ils bannissent facilement, condamnent aussi aisément les « silencieux » ; ces individus qui, en société, servent de tapisserie ; élément essentiel du mobilier, leur tâche se borne à hocher tacitement de la tête et à participer au débat par un morne silence.

Toutefois, le besoin de briller, s'il devient maladif, est nocif comme cette prise trop quotidienne de médicaments, notable surtout chez ces individus hypocondriaques qui voient dans chaque maux leur fin prochaine. Il est des personnes médiocres voire même douées d'une intelligence quasiment inexistante qui se laissent bercer par le doux chant d'une renommée qu'ils se bornent à atteindre ; en surévaluant leurs réelles aptitudes, ces individus sont de véritables Don Quichotte modernes ; ils se cognent à tous les moulins de la vie ; les rares victoires qu'ils obtiennent sont glorifiées à l'extrême et multipliées au centuple. Avec eux, point de demi mesure, ils sont géniaux et originaux ; ce sont tour à tour les nouveaux Einstein, les Kubrick modernes ou encore les Shakespeare conjugués au présent. Ne se rendant guère compte que leur bouffonnerie sont l'occasion d'une franche rigolade, ils voient dans leurs risibles créations les preuves incontestables d'un talent inégalable. Commençant beaucoup et finissant rarement, ces acharnés de la renommée vivent dans le rêve et l'extase d'une photo de leur visage dans le journal local. Pleurant de joie à chacune de leur réussite aussi prosaïque soit-elle, ils vont même jusqu'à admirer en eux-mêmes ce qui est vu avec dégoût chez les autres hommes. Entretenant un culte du moi, ces narcisses s'admirent tant est si bien qu'ils s'étonnent sans cesse que les autres hommes, autour d'eux, soient aussi froids face devant leur succès.

Il est d'autres individus encore, qui loin de vouloir créer à chaque minute un chef-d'oeuvre ou une révolution copernicienne, se contentent de recueillir sans cesse les regards de leur congénères ; prenant les yeux d'autrui pour des mains capables de délivrer de divines caresses, ces maniaques du « m'as-tu vu » fantasment un monde où ils pourraient se promener avec un écriteau géant autour du coup ou une combinaison fluorescente façon Power Rangers qui diraient « regardez moi j'existe ». Cette manie est particulièrement remarquable chez les adolescents prébubaires ; décoletté plongeant, car ne nous voilons pas la face, la gente féminine est la première victime de cette épidémie, cheveux bleus ou encore chaînes au cou sont autant de signaux qui attirent nos regards ; mais le paradoxe de cette folie est que, à la différence des femmes provocatrices, les adolescents n'ont souvent aucun charme ; à l'âge boutonneux où justement l'on devrait se cacher, ces névrosés poussent le paradoxe jusqu'à faire de leurs tares une affiche publicitaire ambulante.

Enfin, on l'aura compris le besoin de l'homme de se faire voir peut être perverti par ces individus qui recherchent la « gloire à tout prix » jusque, comme le souligne Chamfort, sur l'échafaud. Dans le fond, la peinture du moraliste est à peine exagérée dans la mesure où il en va de certains actes criminels comme des réussites sportives, mais ceci nous amènerait à nous pencher sur la bestialité de l'homme ; or, comme on le sait l'homme est bon, vertueux et honnête ; comme le changement n'est décidément pas pour maintenant, parce que l'humanité est toujours égale à elle-même, nous allons terminer ici cette réflexion qui si on la poursuivrait nous mènerait trop avant dans les méandres de l'âme humaine.   

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