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Scolies
11 janvier 2012

XCVII

Il est difficile, quand on est troublé par les idées de Kant et la nostalgie de Baudelaire, d'écrire le français exquis d'Henri IV.

Proust

pastiche 

Il est difficile, quand on est habitué à la culture de la consommation et au style spectaculaire des publicités, d'écrire le français merveilleux de Marcel Proust. Il est également difficile, après la lecture enthousiaste de Louis-Ferdinand Céline, de se contenter d'un français classique, dont on ne doute pourtant pas de la valeur intemporelle. Il est toujours toujours difficile d'écrire en ayant à l'esprit les majestueuses perfections de nos écrivains préférés. Simenon, pour mieux déployer son génie propre, ne lisait rien avant d'écrire.

Et pourtant, sans imitation, nous ne serions pas capables de conquérir notre style propre ; sans modèles, nous ne pourrions pas même essayer d'actualiser nos virtualités singulières, dont nous n'aurions, à vrai dire, aucune conscience. Il y a des peintres qui disent ne pas vouloir s'intéresser à la peinture du passé pour ne pas corrompre leur originalité sous l'influence des autres artistes ; il y a des romanciers ainsi, des philosophes, des musiciens, des hommes communs. J'ai souvent entendu des hommes légitimant leur inculture en disant, non sans fierté, qu'ils préféraient penser par eux-même plutôt que de penser avec les autres : ceux-là sont les plus pauvres d'esprit (et il n'est pas vrai qu'ils seront consolés). Penser tout seul est la meilleure façon de penser comme tout le monde ; et, de même, écrire sans modèle, sans jamais imiter, est la meilleure manière de ne pas exploiter les éventuels potentiels singuliers contenus en nous.

Imiter, c'est apprendre à devenir soi-même. Cela n'est presque jamais compris. Imiter, ce n'est pas plaquer les caractéristiques marquantes d'un autre en évacuant sa propre individualité ; ça, c'est le sens faible de l'imitation. Imiter, c'est incorporer les particularités d'un autre que soi et, par là, assimiler un contenu extérieur fructueux permettant de développer nos forces propres. Louis-Ferdinand Céline lui-même eut des modèles. Cette sorte de dialectique, indépendamment de l'écriture, sera toujours nécessaire à l'éclosion d'une profonde individualité, à la fois singulière et commune.

Marcel Proust, avant d'écrire la Recherche du temps perdu, avait brillamment pastiché Flaubert et Saint-Simon.

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T
Vos pertinentes observations écrites dans une langue admirable et concise nous enchantent chaque jour et nous rendent plus agréable le monde qui nous entoure. Ni jérémiades, ni haines déclarées, ni brutales oppositions; seul un cheminement tranquille suffit à l'exercice d'une pensée assez haute pour se partager sans contraintes et c'est cela que nous aimons.
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