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Scolies
13 janvier 2012

XCIX

La plupart des affections ne sont que des habitudes ou des devoirs qu'on a pas le courage de briser.

– Montherlant

montherlant


Est-ce uniquement par lâcheté que les hommes aiment à conserver les liens du passé ? La faiblesse seule suffit-elle à expliquer cet étrange acharnement à entretenir en soi un attachement que plus rien, dans le présent, ne justifie ? Au fond, les hommes n'aiment pas beaucoup détruire. Certains se plaisent peut-être à démolir des châteaux, à tuer des ennemis, à démystifier des idoles ; mais cette forme de destruction est toute extérieure ; alors que ceux-là même qui destinent leur existence au meurtre, qu'ils soient chefs de guerres ou assassins, rechignent à dissoudre certains liens compréhensibles uniquement de l'intérieur. L'homme est un être du passé ; il se complaît dans la contemplation des choses vécues et des histoires personnelles passées ; ses souvenirs, et, ce qui importe ici, tout ce qui renvoie à eux, sont protégés, choyés, jusqu'à l'absurde.

Les affections qui nous unissent à un individu sont concentrées sur le passé, le présent, ou l'avenir ; et, ce qui va de soi, dans la plupart des cas, une affection n'est jamais purement au passé, au présent ou au futur. Lorsqu'une affection n'est plus que composée que d'habitudes ou de devoirs, lorsque aucune joie sincère et inattendue ne jaillit de la fréquentation d'une personne, lorsque aucune perspective d'intérêt ou de bonheur à conquérir n'anime la relation, alors, cette affection est sans doute entièrement marquée du sceau du passé ; tout se passe comme si l'affection ne subsistait que par elle-même, par la vision plus ou moins agréable de ce qu'elle a engendré ; nous pourrions presque parler d'une sorte de tautologie affective, si ne se joignait à l'affection l'homme lui-même, responsable de cette intendance qu'il préfère souvent ne pas interroger, de peur de devoir, tout à coup conscient, couper le lien source de tracas qui sont, dans un certain sens, rassurants et réconfortants. Ces affections du passé mériteraient tous, par un coup sec et courageux de la volonté, d'être brisées, si de nombreux inconvénients secondaires ne venaient pas rendre la tâche pénible ; et souvent, l'on s'aperçoit, au moment où l'on se décide à rompre un lien, que cette rupture engendrerait des ennuis plus embêtants que la persistance du lien lui-même. Une affection peut également reposer sur le désir de tranquillité, sur le mépris des enquiquinements superflus.

L'admirable Reine morte de Montherlant montre, en dramatisant une situation somme toute assez courante, la prise de conscience de la persistance vaine et absurde d'un attachement profondément malheureux. J'aime le roi Ferrante. Il m'avait beaucoup ému ; j'avais, en découvrant ses répliques, l'impression de véritablement le comprendre, ce qui n'arrive pas si souvent au théâtre. Cette pièce trop peu lue et représentée donne envie d'être courageux et de s'élever au-delà de l'habitude et des devoirs pour affirmer sa propre volonté, pour ne faire exister plus que des liens libres et joyeux entre soi et les autres.

Parfois, le fameux cri de Gide contre la famille résonne en nous.

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