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Scolies
23 octobre 2011

XVII

On anéantit son propre caractère dans la crainte d'attirer les regards et l'attention, et on se précipite dans la nullité pour échapper au danger d'être peint.

 Chamfort

giuseppe_de_nittis_salon_princesse_mathilde 

Se penser représenté est le meilleur moyen de n'aller pas au bout de soi-même. C'est d'ailleurs pourquoi ce n'est presque jamais dans les mondanités, entourés par des regards qui nous sont étrangers, que nous pouvons découvrir réellement un individu ; ce n'est que dans l'aisance de l'intimité que nous dévoilons ce que nous sommes, que nous déployons notre être – et, par conséquent, que nous révélons notre charme.

Tout homme lucide devrait, avec la distance, se trouver faible en société. Même ceux qui semblent n'être pas affectés par le regard des autres (et il est vrai que tout le monde n'est pas sensible avec la même force au fait de se sentir représenté, de se voir être un pantin gesticulant dans le théâtre qu'est le jugement de l'autre) n'agissent jamais selon leur véritable caractère lorsqu'ils se savent observés et jugés. C'est ainsi : l'étrangeté du regard entrave notre spontanéité créatrice ; nous calculons trop, nous nous représentons trop notre propre représentation pour développer pleinement nos potentialités créatrices.

Le résultat, c'est notre médiocrité, qu'elle se manifeste par une gêne marquée, par des silences ennuyeux, par des maladresses disgracieuses, ou par des exagérations de notre caractère, des expressions hyperboliques de nos pensées – autant de faiblesses qui eussent pu être évitées si nous avions pu dérouler notre être dans la chaleur prodiguée par les regards connus ou par la confortable absence de portraitiste que donne la solitude, lorsque nous ne sommes pas pathologiquement et narcissiquement obsédés par le jugement de soi-même. Il est bon de sentir la différence d'atmosphère régnant dans les situations où, faisant trop attention à nous du fait même de la présence d'une altérité encore trop inconnue, nous ne sommes qu'une ombre déformée de nous-même, par rapport à ces moments où nous savons que nous livrons, sans gênes et sans freins, une meilleur part de nous-mêmes. Peut-être que la plus délicieuse situation, comme bien souvent, est celle de l'intervalle, de l'entre-deux : entourés de personnes connues tout en se sachant observé par un tiers qu'on vient de nous présenter ; ou, mieux encore, lorsque nous connaissons assez quelqu'un pour ne pas être trop craintif et médiocre, tout en portant en soi de stimulantes exigences afin de plaire à l'autre, comme lorsque nous essayons (ce qui donne toujours un étrange mélange de déceptions et de satisfactions) de montrer à l'être de qui nous voulons être aimé tous les plis virtuels enveloppés dans notre individualité.

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