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Scolies
24 janvier 2012

CX

Ce n'est jamais qu'à cause d'un état d'esprit qui n'est pas destiné à durer qu'on prend des résolutions définitives.

– Proust

William_Adolphe_Bouguereau__1825_1905____The_Remorse_of_Orestes__1862_ 

D'où les regrets qui viennent nous attaquer, nous tourmenter, comme si nous voulions nous venger d'avoir été dans une disposition différente au moment de la décision. Il y a deux choses importantes à dire sur ce point.

D'abord, la considération du caractère éphémère de presque toutes nos décisions, du fait de l'évolution permanente de notre être, nous invite à relativiser nos jugements. Nos jugements ne sont jamais parfaits, inaltérables, incorruptibles ; et parfois, ce n'est pas l'année ou le mois suivant que nous nous aperçevons que nous jugerions aujourd'hui différement, mais le jour d'après. Notre vision du passé fluctue en même temps que notre vision du présent ; nos critères changent comme nos sentiments ; rien n'est inamovible en nous, tout fluctue. Homme, être incertain qui revient toujours sur son passé. Il y a une vertu à tirer de cela : c'est de ne pas trop se fier à ses impulsions et même à son jugement ; au moment d'une grande décision, il faut essayer, si tant est que cela est possible, de penser à son moi présent pour anticiper sur ce que nous serions plus tard ; il faut prévoir quelle sera notre vision du bien, et évaluer quel possible correspondra le mieux à cette vision. Il s'agit là d'un idéal que nous ne pouvons jamais satisfaire entièrement ; l'homme coule de manière trop imprévisible pour calculer aussi rigoureusement ; mais enfin, la simple pensée de l'avenir et du changement probable de notre être permet de nuancer ses jugements et de juger modérément. Modération et prudence : telles sont les vertus que nous pourrions acquérir en méditant là-dessus.

L'autre point essentiel concerne le mal que nous fabriquons à partir de cette même considération. Il est de la nature de la pensée de pouvoir envisager chaque chose selon plusieurs faces ; aussi, d'une observation vraie, telle que celle de Proust, nous pouvons en tirer un profit, une vertu, mais nous pouvons également en extraire l'une des causes d'un vice répandu : le regret, ou, plus précisément, le malsain jeu des possibles du passé qui viennent croiser le moi présent. Ces possibles du passé, considérées sérieusement, sont l'une des plus grande source de chagrin au monde ; nous sommes pris au piège de la chronologie librement déformable, nous ajoutons des éléments du présent à une situation passée, et nous jugeons avec sévérité notre jugement passé, maintenant que nous avons toutes les informations pour déterminer quelle était la meilleure décision à prendre. Il est bon de jouer avec les si ; rien de plus amusant comme ces rêveries où nous refaisons le monde ou notre vie, mais à la condition que ces rêveries restent des jeux maîtrisés et voulus. Mais les possibles et les si nous échappent ; ils prennent possession de notre imagination ; nous subissons ce jeu sérieux ; et, passifs face à nos souvenirs, les possibles deviennent regrets et tournent furieusement autour de nous ; ils piquent, ils fatiguent, ils rendent fous. Lorsque nous constatons que le jeu des possibles devient aussi malsain, que nous ne pouvons plus y jouer librement et légèrement, arrêtons tout ; relisons l'Éthique de Spinoza ; souvenons nous que le possible n'est qu'une idée de l'homme, que les idées sont plus maniables que le réel, auquel nous nous soumettons, en l'acceptant, en le comprenant, et en pensant à sa perfection irréductible. 

Tout est parfait, enseigne Spinoza ; cette idée est le meilleur remède contre les nuisibles possibles qui se sont aliénés en nous. 

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