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Scolies
25 février 2012

CXLII

J'appelle problématique un concept qui ne renferme aucune contradiction et qui, comme limitation de concepts donnés, s'enchaîne avec d'autres connaissances, mais dont la réalité objective ne peut être connue d'aucune manière.

– Kant

ciel_rouage

Nous ne pouvons pas apprécier à sa juste valeur la philosophie si nous considérons les ingénieux systèmes élaborés pour répondre aux questions métaphysiques naturelles de l'homme comme des descriptions vraies du monde. Si nous prenons les prétentions des métaphysiciens au sérieux, si nous cherchons absolument la pure vérité dans leurs assertions, alors nous deviendrons ou des dogmatiques niais et fastidieux, ou des contempteurs amers de toute forme de spéculation. Or Kant, bien qu'il soit aux antipodes d'un scepticisme à l'égard de la métaphysique, pour laquelle il ne cesse de travailler, permet de penser les concepts philosophiques d'une autre manière qu'on ne le faisait auparavant ; cette profonde innovation est à rapprocher du détachement qu'il fit de la pensée et de l'être, lesquels étaient, avant lui, trop souvent liés, comme s'il s'agissait d'une évidence qu'il fallait surtout ne pas interroger. Car c'est bien de coupure entre l'être et la pensée, l'idée, le concept, l'entité censé correspondre à la réalité objective dont il s'agit ici, coupure dont on trouve un parfait exemple dans la réfutation que Kant fait de la preuve ontologique de l'existence de Dieu. 

Kant fait sans doute preuve d'un grand jugement et d'une compréhension rare de la nature humaine en ne cherchant pas uniquement, comme tant d'autres sceptiques avant lui, à bloquer l'accès à une connaissance déterminée des êtres intelligibles qui dépassent, pour utiliser son vocabulaire, toute expérience possible ; en effet, l'un des coups de génie de Kant, est d'avoir introduit en philosophie des concepts qui ne prétendent pas avoir un sens positif, c'est-à-dire des concepts qui ont une toute autre utilité que de rendre compte du réel. Tel est le concept de noumène, que Kant n'utilise que dans un sens négatif, problématique, limitatif, et qui est pourtant indispensable à la philosophie critique, puisqu'il permet, en distinguant les phénomènes des choses en soi, de poser des bornes utiles à l'entendement, traçant des frontières là où tout était confus, donnant au métaphysicien une carte précise du territoire sur lequel il veut s'aventurer ; et l'on peut d'ailleurs regretter qu'après Kant tant d'éminents philosophes n'aient pas jugés bons de se servir des découvertes du "géographe de la raison", comme il se plaisait à qualifier Hume. 

Petit à petit, on en viendra à cette grande idée : le concept, en philosophie, ne doit pas être jugé en fonction de son adéquation avec la réalité, mais compris comme l'élément essentiel de la pensée philosophique, c'est-à-dire en tant que concept opératoire, en tant que fabrication indispensable au philosophe pour articuler son mode de pensée propre. Il faut être reconnaissant à Gilles Deleuze d'avoir à ce point insisté sur l'invention conceptuelle qui caractérise la philosophie, même si nous devons être critiques sur de nombreux points de cette vision, justement trop conceptuelle, de la philoosphie. Le concept n'est pas obligé d'avoir un sens positif pour être valable ; il se doit simplement d'être efficace, fécond, puissant.

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