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Scolies
26 février 2012

CXLIII

Comme je n'étudiais rien, j'apprenais beaucoup.

Anatole France

ImageAnatoleFranceP

 

J'ai bien des fois observé que les étudiants les plus zélés étaient souvent fats, pauvres d'esprit, ou riches d'un petit esprit dans le sens très faible de ce grand mot, tandis que des élèves insouciants des cours montraient, lorsque les professeurs n'étaient plus là pour les contrôler et les noter, une intelligence et une culture aussi rares qu'elles étaient vivantes. Il y a, dans le zèle de l'étude, considérée en tant qu'application réglée, sérieuse, qui va souvent jusqu'à la rigidité efficace du mécanisme et la prévisibilité insipide d'un programme informatique, une forme de confort facile, une soumission de la volonté de l'individu à une volonté extérieure, choses qui répugnent à l'esprit libre, à cet âme curieuse trop heureuse de déployer sa puissance de compréhension vers mille objets divers, à cet amoureux inconstant de toutes les nourritures du monde content d'errer selon sa logique interne propre autour de ce qui excite capricieusement son désir instable. L'étudiant zélé suit un programme étroit ; l'esprit libre tournoie autour de sujets d'autant plus enivrants qu'ils sont variés et inattendus : d'une pièce de théâtre de Corneille il saute jusqu'à l'histoire romaine, se passionne pour les langues anciennes, puis, tout à coup, laissant là ses livres, interloqué par la délicieuse banane qu'il vient de manger, il se précipite faire des recherches sur ce fruit et est heureux d'apprendre que le bananier n'est pas un arbre.

Délicieuses promenades dans le savoir, vous êtes plus fécondes que les longues journées laborieuses passées à étudier un programme scolaire : vous n'engendez pas de spécialistes pédants, vous donnez du goût à tout et donnez chair à la gaya scienza. Nietzsche savait bien cela, lui qui a subi les études austères du collège de Pforta et les contraintes ennuyeuses de l'université, mais qui a également fait ses plus belles découvertes avec le charme de l'imprévisible, trouvant comme magiquement Schopenhauer, Stendhal et Dostoievsky, sachant, plus qu'aucun autre, errer dans cette culture qu'il n'a pas cessé d'interroger, d'ausculter et de glorifier dans son oeuvre. Le but de tous nos efforts d'apprentissage doit toujours être la vie ; nous devons être animés par un élan interne, par d'authentiques désirs afin de pouvoir toujours mieux apprendre et, allègre, ouvrir d'imprévisibles nouveaux chemins de savoir ; ainsi s'épanouit véritablement la raison de l'homme, toujours joyeusement, ou alors ce n'est pas ce que l'on peut appeler un épanouissement.

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