Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Scolies
8 avril 2012

CLXXXV

Serf, ce peuple bâtissait des cathédrales ; émancipé, il ne construit que des horreurs.

– Cioran

718__1_

La contemplation quotidienne de la cathédrale de Strasbourg et de ses alentours révèle que la caustique petite phrase de Cioran n'a rien d'exagéré et qu'elle est même plutôt un euphémisme. Si l'on recherche le sacré ou le sublime en espérant se faire écraser par la beauté démesurée de la cathédrale, l'on sera bien déçu, à moins d'y aller très tôt, dès l'aube, lorsque les camions bruyants ne sont pas encore là pour rompre le silence qu'impose un tel monument ; car c'est le tourisme, le festivisme, la modernité, la médiocrité qui règnent, jusque dans le lieu même. En effet, le touriste entrant dans la cathédrale a la chance de pouvoir bénéficier  de plusieurs écrans LCV qui lui indiquent je ne sais quel machin inutile, comme si la technique, et la technique la plus lumineuse, la plus utilitaire, la plus grossière, pouvait se mêler harmonieusement à la sainteté obscure, effrayante, mystérieuse de la cathédrale gothique. La contradiction sans espoir de synthèse entre ces deux éléments issus de deux mondes différents sauteraient aux yeux de n'importe qui de sensé ; mais le touriste a cette caractéristique de s'ébahir devant tout, d'accepter tout, sans jamais remuer la tête en signe d'opposition : il vient, il se sert, et s'en va content ; et l'on ne voit franchement plus très bien ce qui différencie une cathédrale sainte d'un gigantesque bordel spécialement réservé aux étrangers (avec une petite préférence pour les chintoks évidemment).

Je sais bien que les oeuvres n'ont définitivement plus de valeur cultuelle, que leur aura s'est entièrement dissipée, comme le dit un penseur de peu de valeur, et que nous ne nous prosternons plus devant les statues, comme le dit un autre penseur d'une autre volée ; mais voir, qu'outre cette déliquescence de la force de l'art, apparaît, sans honte aucune, les pires atrocités imaginables, voilà qui est douloureux et difficile à admettre. Je pense à toutes les boutiques de charlatans qui vendent des cigognes en peluche grotesques fabriquées en Chine et autres produits caricaturaux qui n'expriment rien d'autre que la bassesse dans laquelle la population mondiale plonge le visage content, mais aussi à ce fichu train ridicule faisant péniblement errer de mornes imbéciles à la gueule tristement ébahie un peu partout dans la ville. Beau symbole que ce train, si l'on y songe deux secondes ; car c'est un peu ça, la modernité festiviste, un train coloré empli de citoyens du monde souriant au monde du passé et brandissant à tout rompre leurs appareils divers avec un enthousiasme destructeur ; mais ce train là ne s'arrête jamais, même lorsque la nuit est tombée, et qu'il n'y a plus d'argent à piquer ; il s'élance sans cesse à partir de son propre mouvement à visage touristique, visage qui cligne de l'oeil, comme le dernier homme de Nietzsche croyant avoir découvert le bonheur. J'espère que je pourrai, avant de mourir, avoir le plaisir immense de voir ces monstruosités modernes détruites de plein gré ; beau rêve que Morphée ne m'a malheureusement jamais encore permis de réaliser dans une voluptueuse nuit de sommeil.

Publicité
Publicité
Commentaires
Scolies
Publicité
Archives
Publicité