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Scolies
23 mai 2012

CCXXX

J'ai vu les couronnes sacrées de la gloire profanées sur un front vulgaire.

– Schiller

Auguste_avec_couronne_de_Laurier_

L'usurpation de la gloire n'est pas une exception, elle est la norme. Aussi, les couronnes de la gloire n'ont pas grand chose de sacrées, puisque ce ne sont que des signes extérieurs, aisément manipulables et soumis aux pouvoirs, de la valeur d'un individu. La gloire n'est que l'habit du génie, utile sans doute pour mieux le reconnaître, mais qui n'a pas de signification profonde, l'essentiel étant précisément ce que recouvre l'habit. Le génie exprime sa puissance par lui-même, de l'intérieur ; la gloire qu'il obtient par l'expression de sa puissance n'est qu'un apparat, un bel ornement, à peine une récompense. Un génie ignoré, un génie sans couronne, sans l'habit de la gloire, n'en demeurerait pas moins un génie : Vivaldi n'a pas cessé d'être génial plusieurs siècles, ce n'est pas son génie qui a ressuscité, mais les oreilles du monde.

La gloire ne se confond pas avec le juste mérite. Christophe Colomb n'était sans doute pas le meilleur navigateur de son époque.  Ceci est très visible dans les concours sportifs, où l'on voit que c'est rarement les meilleurs qui sont couronnés. Les Nuées, chef-d'oeuvre d'Aristophane, n'avait remportée que le troisième prix. Ainsi, le trophée ne va pas nécessairement au plus grand, mais plutôt à celui qui sait le mieux joindre le talent aux circonstances faborables. La couronne est de contingence, alors que le génie est de nécessité toute. La puissance intérieure ne ment jamais, mais les signes de puissances extérieures presque toujours, car c'est rarement pour de bonnes raisons qu'un grand homme est célébré. Connaître les grands homme, c'est d'abord retirer leurs habits trompeurs pour voir ce qu'ils sont vraiment ; connaître Schopenhauer, c'est d'abord y trouver autre chose qu'un plat pessimisme, comme on le fait habituellement. 

Flaubert sentait le vide de la gloire mieux que personneet Louise Colet, qui au contraire ne comprenait rien à ces idées là, en a fait les frais dans une admirable lettre : "Tu veux que je sois franc ? Eh bien je vais l'être. Un jour, le jour de Mantes, sous les arbres, tu m'as dit "que tu ne donnerais pas ton bonheur pour la gloire de Corneille." T'en souviens-tu ? Ai-je bonne mémoire ? Si tu savais quelle glace tu m'as versée là dans les entrailles et quelle stupéfaction tu m'as causée ! La gloire ! la gloire ! mais qu'est-ce que c'est que la gloire ! Ce n'est rien. C'est le bruit extérieur du plaisir que l'art nous donne. "Pour la gloire de Corneille "! – mais pour être Corneille ! pour te sentir Corneille ! Je t'ai toujours vue mêler à l'art d'autres choses, le patriotisme, l'amour, que sais-je ? un tas de choses qui lui sont étrangères pour moi, et qui loin de l'agrandir à mes yeux le rétrécissaient. Voilà un des abîmes qu'il y a entre nous. C'est toi qui l'as découvert et me l'as montré."

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